Le chemin de fer Asie-Europe est à l'honneur depuis le début de la pandémie, avec une forte augmentation des volumes de fret au cours des huit derniers mois. Cependant, ce succès est désormais entravé par le niveau de congestion.
Au cours des huit derniers mois, les volumes de fret (en EVP) acheminés via le rail entre l'Asie et l'Europe ont augmenté de 49,3% en glissement annuel [1]. Toutefois, pendant la période estivale, les chargeurs ont été confrontés à un défi de taille : la congestion. Le problème s'est principalement manifesté en direction ouest, de l'Asie vers l'Europe. Selon le Eurasia Rail Alliance Index développé par "United Transport and Logistics Company - Eurasian Rail Alliance" (UTLC ERA), le temps de transit moyen de la Chine vers l'Europe a fortement augmenté depuis juin (graphique 1).
Graphique 1 - Source de données : Eurasia Rail Alliance Index
De la fin juin à la mi-juillet, de graves problèmes de congestion se sont produits à la frontière entre la Chine et le Kazakhstan, dans certains cas extrêmes avec plus de deux semaines de retard. En conséquence, en juin, l'Administration nationale des chemins de fer chinois a ordonné aux transporteurs chinois de réduire leurs capacités, principalement sur les lignes nouvellement ajoutées pour le fret à destination de l'Europe et de l'Asie centrale afin de rétablir les flux. Il a récemment été signalé que la congestion à Alashankou s’est quelque peu atténuée.
Ce retard croissant en amont a ajouté à la difficulté de répondre à la demande de capacités déjà rencontrée dans la ville de Małaszewicze, à la frontière entre la Pologne et la Biélorussie, entraînant une congestion supplémentaire pendant la deuxième quinzaine d'août. La congestion à Małaszewicze, qui gère environ 90% des transports de fret par voie ferrée entre la Chine et l'UE, est un problème pour le fret ferroviaire eurasien depuis des années.
Recherche d'itinéraires alternatifs
Les chargeurs et les commissionnaires ont immédiatement cherché des itinéraires alternatifs pour contourner le point de congestion. Pour éviter Małaszewicze, la voie maritime à courte distance entre Kaliningrad et Rostock a gagné en popularité. Quatre mois après le lancement de cette route en avril, les exportations en volume conteneurisé de Kaliningrad ont doublé par rapport à l'année dernière (graphique 2). Cependant, pour le moment, le volume d'expéditions via cette route reste marginal et le coût serait également plus élevé que via Małaszewicze.
Graphique 2 - Source de données : Kaliningrad Sea Commercial Port
Pourquoi cette congestion ?
Globalement, la congestion résulte de deux facteurs principaux.
- Premièrement, un goulot d'étranglement de l'infrastructure incompatible avec l’augmentation soudaine des chargements. Pour remédier à la limitation des infrastructures, un certain nombre de projets d'expansion ont été menés. En juin, PKP Cargo a également obtenu le contrat d'extension de la capacité du terminal de Malaszewicze, un projet financé à la fois par l'Etat polonais et par l'UE. Il devrait démarrer à la fin de 2021 mais ne sera achevé qu'en 2028, et ne résoudra donc pas la congestion à court terme.
- Deuxièmement, la pénurie de wagons pour le trafic vers l'ouest (Asie - Europe), en raison du déséquilibre des volumes entre Est et Ouest, est une autre raison majeure de la congestion vers l'Europe. Au cours des six premiers mois de 2020, malgré une augmentation significative, les expéditions vers l'Est ne représentent que 60% du volume des expéditions vers l'ouest. En conséquence, une croissance soutenue du transport de marchandises vers l'est sera au cœur du développement futur du chemin de fer Asie-Europe.
Des tendances contrastées
La demande vers l'Est peut être plus fragile. Non seulement les volumes vers l'Ouest sont plus importants en raison de la structure du commerce Chine-UE, mais il y a aussi une dynamique politique derrière le transport de marchandises vers l'ouest. D'après l'analyse de la structure des marchandises expédiées vers l'Est par fret ferroviaire (graphique 3), nous observons une image mitigée.
Graphique 3 : Source de données: Eurostat
D'une part, la morosité du marché chinois des automobiles importées, qui représente la principale source de trafic, jette une ombre sur le long terme. Le secteur automobile fait partie des industries les plus touchées par la pandémie. Pour le moment, le marché chinois des automobiles importées peine toujours à se redresser. Selon l'Association des concessionnaires automobiles chinois, de janvier à juillet 2020, la vente aux particuliers de voitures de tourisme importées a chuté de 20,4% par rapport à 2019.
Certains autres secteurs se révèlent plus prometteurs.
- Premièrement, les machines intermédiaires et pièces expédiées par rail ont un vrai potentiel de croissance. Elles ont d'ailleurs augmenté au premier semestre 2020. Par exemple, le volume des expéditions par fret ferroviaire des roulements à rouleaux était 6 fois supérieur à celui de l'année dernière. La reprise de l'activité manufacturière chinoise et un fret ferroviaire moins perturbé pendant la pandémie ont participé à ce phénomène. Bien que le taux de croissance des expéditions de pièces de machines intermédiaires par chemin de fer ralentisse depuis mai, la demande globale accrue dans ce secteur pourrait entraîner une augmentation constante de la demande en direction de l'Est.
- Deuxièmement, le commerce électronique transfrontalier florissant vers le marché chinois pourrait attirer davantage de volumes ferroviaires en direction de l'Est. Au premier semestre 2020, les importations chinoises issues du commerce électronique ont augmenté de 24,4%. Les pays européens sont parmi les plus grands fournisseurs des plates-formes chinoises. En 2018, six des dix principaux exportateurs vers le marché chinois du commerce électronique transfrontalier étaient des pays européens: Allemagne, Royaume-Uni, Pays-Bas, Suisse, Italie et France. On compte notamment parmi les marchandises très prisées le lait en poudre, les produits pour nourrissons et les cosmétiques. L'utilisation du fret ferroviaire pour faciliter le commerce électronique transfrontalier est un élément important du plan politique de la Chine pour stimuler son commerce extérieur, bien que cette politique puisse avoir plus d'impact sur le transport de fret vers l'ouest que vers l'est.
- Troisièmement, le transport ferroviaire frigorifique peut aussi accroître le volume d'expéditions vers l'Est, mais pas à court terme. D'un côté, la forte demande chinoise de viande et l’assouplissement récent de la réglementation russe sur l'expédition de produits alimentaires européens à travers son territoire constituent les conditions nécessaires et suffisantes pour une croissance potentielle de ce segment. Mais d'un autre côté, la Chine, la Corée du Sud et le Japon ont temporairement suspendu l'importation de porc allemand en raison de la peste porcine récemment détectée en Allemagne, deuxième exportateur de porc de l'UE vers la Chine en 2019.
Bien entendu, un modèle d'expédition plus équilibré dans les deux sens ne peut être mis en place du jour au lendemain. En conséquence, d'autres stratégies ont été lancées pour remédier à la congestion en direction de l'ouest. Par exemple, l'UTLC ERA a instauré un tarif réduit pour l'expédition de conteneurs vides de 40 et 45 pieds vers l'est par des trains réguliers, dans l'espoir de réduire la pénurie de conteneurs pour le fret quittant la Chine. De plus, à partir de juillet, la Chine a lancé un projet pilote "port numérique" visant à améliorer le degré d'automatisation du fret ferroviaire.
[1] Calculé sur la base des données fournies par l'Administration nationale des chemins de fer chinois.