Commerce international

Accord de libre-échange entre l’UE et le Vietnam : l’impact sur le marché de la logistique

18 juillet 2019

L'Union européenne et le Vietnam ont officiellement signé un Accord de Libre-Echange (ALE), le 30 juin 2019, qui entame maintenant son parcours de ratification. Cet accord a été décrit par l’UE comme un accord "majeur" avec un pays en voie de développement, étant donné qu’il prévoit l’élimination de 99% des droits de douane entre ces deux entités dans la décennie à venir. C’est également le deuxième ALE signé avec un pays de l’Asie du Sud-Est, après l’accord avec Singapour en 2018.

Ces dernières années, le volume des échanges entre l’Union européenne et le Vietnam a augmenté de façon stable (Figure 1&2). La valeur totale des échanges entre les deux parties pour 2018 équivaut au double de celle de 2012. Le volume de transport par conteneurs suit la même tendance que les échanges bilatéraux avec une augmentation de 163% ces cinq dernières années. Mais l'on constate une accélération de la hausse depuis fin 2015 - début 2016 (figure 2). Cette période correspond au moment où l’UE et le Vietnam ont achevé les négociations de l’ALE, en décembre 2015.

Des échanges en forte hausse

À l’heure actuelle, le Vietnam est l’un des 10 plus gros partenaires d’export de l’UE, et l’UE est le 2e plus gros partenaire commercial du Vietnam. En 2018, les exportations du Vietnam vers l’UE représentaient 18% de l'ensemble des exportations du pays. L’UE importe principalement des produits électroniques (comme des combinés de téléphone), des chaussures et des vêtements, tandis qu'elle exporte des produits électroniques et des machines de pointes, de l’équipement de transport, et des produits pharmaceutiques. Ces deux dernières catégories font chacune l’objet d’une annexe spécifique de l'ALE, décrivant les règles s’appliquant à l’échange de ces biens.

echanges-EU-vietnam

 

volume-conteneurs-EU-vietnam

Les points clefs de l'ALE

L'ALE entre le Vietnam et l'UE va apporter des modifications substantielles, et notamment :

Elimination des droits de douanes :

  • Sur 65% des exportations de l’UE vers le Vietnam dès l’entrée en vigueur du traité, et sur les 35% restant (sauf quelques exceptions) après 10 ans.
  • Exportations vietnamiennes vers l’UE : 71% seront exemptées de droits de douane dès l’entrée en vigueur, et 99% le seront dans les sept ans qui suivent.
  • Pour la première fois, le "Made in EU" sera officiellement accepté dans un ALE.

Elimination des barrières non douanières :

  • Libéralisation du marché, y compris le marché du transport maritime
  • Marchés publics : les entreprises européennes pourront répondre à des appels d’offre sur des projets d’infrastructure vietnamiens.

Indication de la provenance géographique :

  • Permettra d’identifier les denrées alimentaires européennes provenant d’origines spécifiques, comme le champagne, pour les protéger de la contrefaçon sur le marché vietnamien.

Une potentielle augmentation de la demande de transport

Les acteurs européens de la logistique pourront-ils bénéficier de cet accord de libre-échange, et si oui, comment ?

Premièrement, l’amélioration des relations commerciales permise par cet ALE est à même d’engendrer une augmentation de la demande de transport entre l’UE et l’Asie du Sud-est, notamment grâce à l'élimination des droits de douanes sur un certain nombre de biens après la ratification de l’accord. Dans un futur proche, cette hausse pourrait concerner surtout des exportations de des machines et appareils de l’UE vers le Vietnam, biens pour lesquels les droits de douane seront supprimés dès l’entrée en vigueur de l’ALE.

Parallèlement, pour certains types de bien qui représentent une proportion importante des échanges bilatéraux, une période de transition s’amorce. Du côté vietnamien, les droits de douane sur les vêtements et chaussures "made in Vietnam", qui représentent une part importante des exports vers l’UE, ne seront supprimés que d’ici 3 à 7 ans. Il en va de même pour les voitures et pièces détachées européennes exportées vers le Vietnam, dont les droits de douanes ne seront levés que 7 à 10 ans après l’entrée en vigueur de l'accord. Pour ces biens, l'impact sur la demande de transport se se fera donc sentir que bien plus tard.

Accès au marché du transport maritime vietnamien

Cet ALE donne également aux investisseurs européens une excellente opportunité d’entrer sur le marché du transport maritime vietnamien. Les services de transport sont la deuxième plus grosse catégorie d’exportations pour l’UE, et pourtant aucun des pays de l’ASEAN ne figure parmi les plus gros destinataires.

En libéralisant le marché du transport vietnamien, il est possible d’encourager l’export de services de transport européens, et plus précisément les services d’agent maritime, de manutention de fret ou de conteneurs, de stockage et d’entreposage, etc. (1).

Simplification

La simplification des procédures de dédouanement prévue par l’ALE permettra par ailleurs de fluidifier les échanges et le transport. Ces dernières années, le Vietnam a considérablement amélioré ses résultats. Selon l’indice de logistique de la Banque mondiale, le pays a gagné 25 places en deux ans dans le classement des performances logistiques, passant de la 64e place en 2016 à la 39e place en 2018.

Néanmoins, deux indicateurs de la performance logistique, à savoir les envois internationaux et les procédures de douane, ont stagné ces dix dernières années. Ces deux indicateurs mesurent la capacité du Vietnam à offrir des prix compétitifs et à réduire le formalisme administratif. La première catégorie peut progresser par la simple ouverture du marché du transport vietnamien. Les procédures de douane devraient quant à elle s’améliorer avec la mise en œuvre du traité de libre-échange.

La mise en œuvre est primordiale

Bien entendu, les aspects évoqués précédemment ne deviendront des réalités qu’à moyen ou long terme. Cet ALE doit encore être ratifié par le gouvernement vietnamien, le Parlement européen et les États membres de l’UE. Or en Europe, certaines voix s'élèvent contre cet accord autour de la question des droits de l’homme. Et bien que l’ALE comporte des dispositions portant sur ces questions (notamment sur le droit du travail), l’étendue de l’application de ces clauses reste encore incertaine, ce qui rend difficile l’évaluation de l’impact réel de l'ALE.

On peut noter cependant un facteur encourageant pour le secteur de la logistique, sans attendre le déploiement de l'ALE : la politique engagée par le gouvernement vietnamien pour faire du pays le principal hub logistique de la région d’ici à 2025. Publié en 2017, ce plan d’action identifie des objectifs et des délais précis, comme la volonté d’attirer des investissements étrangers dans le domaine logistique, de réformer les procédures douanières, et de mettre en œuvre des coopérations avec des acteurs internationaux pour des projets d’infrastructure. Ces objectifs sont alignés avec ceux de l’accord de libre-échange. Cela veut dire que le gouvernement vietnamien est d’autant plus motivé à mettre en œuvre l’ALE, en tout cas pour ce qui est de ses aspects portant sur la logistique, qu’il pourra l’aider à accomplir son objectif de long terme de devenir un hub logistique régional.

Une ouverture vers l'Asie du Sud-Est en général

Au-delà de permettre une meilleure coopération économique entre l’UE et le Vietnam, l’accord de libre-échange améliore la pénétration de l’UE en Asie du Sud-est. D’abord, l’UE peut bénéficier des accords commerciaux que le Vietnam a avec d’autres pays asiatiques. En tant que membre de l’ASEAN, le Vietnam possède en effet des accords de libre-échange avec la Chine, le Japon et la Corée. Le Vietnam est également membre de l’Accord de Partenariat transpacifique global et progressiste, l’ALE des pays côtiers de l’Océan Pacifique.

La pénétration du marché vietnamien est également une opportunité pour les acteurs européens de construire des connexions locales et régionales. Par exemple, en 2018, Brême a établi une représentation permanente au Vietnam. C’est la première ville européenne à développer des connexions locales dans ce pays, et ainsi toucher le marché régional.

Un accord qui arrive au bon moment

Enfin, compte tenu des négociations commerciales toujours en cours et compliquées entre la Chine et les États-Unis, le Vietnam continuera d’être l’endroit où les expéditeurs iront pour se prémunir des incertitudes régionales en y implantant leurs usines ou en y redirigeant leurs flux. À ce titre aussi, l’ALE entre le Vietnam et l’UE arrive au bon moment.

L’année 2019 a été riche en accords de libre-échange pour l’UE. En plus de l’accord avec le Vietnam, l’UE a enfin conclu un ALE avec le Mercosur au G20 d’Osaka, après 20 années de négociations, et celui conclu le Japon est entré en vigueur en février 2019. Quels sont leur impact sur le secteur de la logistique ? Nous continuerons d’explorer ces nouveaux accords de libre-échange dans nos prochaines analyses du marché.

(1) Selon l’ALE, le Vietnam va également libéraliser, dans une certaine mesure, les services de transport aérien. Les investisseurs européens pourront alors offrir des services de gestion au sol pour le transport aérien.

Photo : @ EC - Audiovisual Service


Inscrivez-vous à la Newsletter


Docteur en sciences politiques, Ganyi nous livre un regard affûté sur les évolutions du transport et de la Supply Chain dans le monde, par le prisme des tendances politiques et économiques.
Découvrir tous ses articles