CONFÉRENCE SOLUTRANS. Réduction des gaz à effet de serre oblige, la transition énergétique s’impose aux constructeurs, comme aux équipementiers et aux transporteurs. Selon quelles modalités ? Quelles sources d’énergies présentent de réelles alternatives au diesel ? Plusieurs constructeurs, réunis lors du dernier salon Solutrans, s’accordent sur un point : on va plutôt vers un “mix énergétique” que vers une solution unique.
En février 2019, l’Union européenne a adopté un texte qui impose, d’ici à 2025, de réduire de 15 % les émissions de CO2 des poids lourds, par rapport à leurs niveaux de 2019, et de 30 % d’ici à 2030. Les constructeurs devront également s’assurer que les véhicules à faibles émissions ou à zéro émission représentent 2 % de la part de marché des véhicules neufs d’ici à 2025. "C’est un changement essentiel pour la transition énergétique, a affirmé Jean-Yves Kerbrat, directeur général de Man Truck & Bus France, en ouverture d’une conférence sur les alternatives au diesel, le 20 novembre dernier à Lyon, à l’occasion du salon Solutrans. Jusqu’alors, on s’est surtout attaqué aux polluants locaux. Aujourd’hui, l’enjeu, c’est le CO2".
Réduction des polluants locaux
Les polluants locaux ? Les monoxydes d’azote, de carbone et les particules fines sont en effet les principales émissions visées par les normes Euro et les plus récentes vignettes Crit’Air. Pour les constructeurs, les efforts mis en œuvre, tant par les transporteurs que leurs fournisseurs, auraient déjà permis de bien s’attaquer au problème. "En 1990, il n’y avait aucune limitation sur les particules, rappelle Gilles Baustert, directeur marketing et communication de Scania France. Aujourd’hui, avec les Euro 6 et les biocarburants, la part de ces polluants est très réglementée et contrainte".
Olivier Metzger, directeur Energies Alternatives de Renault Trucks, renchérit : "Entre les normes Euro 0 et Euro 6, on a réduit les particules de 98%. Le gaz, par exemple, s’est développé car il répondait bien à la problématique des particules". Alexis Giret, directeur du Comité national routier (CNR), confirme que "le GNV, déjà opérationnel, déjà obligatoire dans certains contextes urbains, a un intérêt immédiat car il élimine quasiment toutes les particules et réduit l’oxyde d’azote de moitié".
Mix énergétique contre le CO2
Le nouveau défi des transporteurs et constructeurs, la réduction de 30% des émissions de CO2 à l’horizon 2030, semble rendre plus urgent encore le passage à de nouvelles énergies. "Il y a deux façons de réduire les émissions de CO2, argue Jean-Yves Kerbrat. La première est d’augmenter l'efficience de nos véhicules diesel ou gaz. La seconde, d’intégrer dans les flottes des véhicules décarbonés, zéro émission… Les offres dans l’électrique se développent, prioritairement pour de la distribution urbaine, dans des zones à faibles émissions".
Si l’électrique, star du salon Solutrans 2019, a le vent en poupe, et si les constructeurs proposent des véhicules hybrides ou 100% électrique, le diesel reste, de l’avis général, “pertinent pour l’instant”. Chez Man, notamment, qui a livré en novembre à Perrenot un 26 tonnes électrique (en exploitation en Ile-de-France avec Franprix), le directeur général estime que “l’inéluctabilité du transport décarboné est un fait. Mais elle devra être progressive. En 2030, il pourrait y avoir 10% de véhicules électriques dans les villes… Donc encore 90% de thermiques… Nous avons plusieurs années pour expérimenter, en exploitation, les énergies. Et nous devons rester attentifs aux évolutions de carburants. Les biocarburants peuvent se révéler de bonnes solutions transitoires pour réduire les émissions de CO2.”
"Nous avons dix ans d’expérience avec un VUL électrique, raconte pour sa part Clément Chandon, responsable développement véhicule à énergies alternatives chez Iveco. Mais aussi une longue expérience dans le marché des bus, à l’électricité, au gaz ou à l’hydrogène. Aujourd’hui, sept camions sur dix non diesel en Europe sont des Iveco. Il faut s’ouvrir à l’ensemble des énergies".
Renault Trucks affiche aussi plus de dix ans “d’électro mobilité” à son compteur, avec la sortie d’un VUL dès 2007 et, depuis, beaucoup de tests en exploitation avec des partenaires sur divers tonnages, en 100% électriques ou hybrides… "Début 2020, nous lançons à Blainville des 16 et 26 tonnes en électrique sur des productions industrielles", indique Olivier Metzger. "Jusqu’ici, le gaz se présentait comme une solution qui répondait à la problématique de qualité de l'air. Mais aujourd’hui, face au défi du CO2, il faut vraiment travailler sur un mix d’énergies, en composant en fonction des contextes", et sans a priori : "L’électrique est pertinent en ville. Le gaz, s’il n’est pas “bio produit”, réduit trop peu le CO2. Sur la longue distance, les technologies diesel Euro 6, à coupler avec des biocarburants sont très pertinentes". Bref, il faut miser sur la diversité.
Analyse du cycle de vie
Gilles Baustert, de Scania France, acquiesce. La marque a recours à cinq énergies alternatives pour, selon le responsable, "mettre à disposition immédiatement et directement des carburants qui réduisent les émissions de CO2 de l’ordre de 90% par rapport au diesel. On part à terme vers une une électrification massive, même pour les poids lourds. Mais un carburant dit “alternatif” au diesel, n’est forcément “propre” au regard du CO2. Par exemple le gaz, lorsqu’il est fossile, réduit les émissions de CO2 entre 5 et 15%, contre - 90% pour le biogaz. Et d’où vient l’électricité d’un véhicule électrique ? Que contiennent ses batteries ? Quelle est la durée de vie du véhicule ? Il n’y aura pas un carburant qui va remplacer le diesel. Ni un carburant qui prendra le pas sur les autres. Nous allons vers un mix de carburants. Et les solutions ne passeront pas que par les constructeurs, mais aussi par les transporteurs et les conducteurs formés".
Dans le même esprit, Alexis Giret rappelle qu’il faut raisonner sur une analyse en cycle de vie, l’ACV, pour calculer l’énergie consommée depuis la production du véhicule, de tous ses composants, de son énergie, jusqu’à son recyclage ou sa destruction. "Ça change tout, un véhicule électrique avec une batterie chimique pollue autant en analyse ACV qu’un véhicule avec 40% de taux de GNV", souligne le directeur du CNR.
Enfin, la plupart des intervenants surveillent les progrès de la pile à combustible et de l’hydrogène. Non fossile, non polluant en terme de particules comme de CO2, l’hydrogène sera en bonne position dans le “mix”... sans compter les énergies qui restent encore à inventer.
Alors que le CNR va publier l’an prochain des indices de prix sur le GNV (à l’instar des indices gazole) avec une monographie sur l’exploitation d’un PL GNV et un simulateur GNV, Alexis Giret conclut qu’il convient de s’attacher à la réalité de l’exploitation pour choisir un type de véhicule et un type de carburant. "Ce sont les nécessités de l’exploitation qui orienteront les choix", rappelle le directeur du CNR.