Le transport routier de marchandises européen a poursuivi en 2021 la reprise amorcée au 2è semestre 2020, mais sans renouer avec les niveaux pré-pandémiques.
La pandémie de coronavirus a fait des ravages dans l’économie mondiale. En Europe, avec des usines paralysées et un marché qui s’est effondré en 2020, l’année 2021 devait être celle de la reprise. Elle l’a effectivement été, mais seulement en partie. En revanche, les plans de soutiens massifs à l’économie et aux entreprises décidés par les États ont permis d’éviter la vague de faillites que craignaient les professionnels et les observateurs du transport routier de marchandises.
Le marché a dû faire face à une demande supérieure à l’offre. Cela a eu des répercussions sur toute la Supply Chain, et en particulier sur le transport. Nos amis anglo-saxons ont utilisé l’expression de "Perfect Storm" pour qualifier la conjonction de phénomènes qui a fait grimper les prix du transport routier de marchandises européen. On peut citer notamment la pénurie de semi-conducteurs, la forte hausse du carburant et le manque de chauffeurs routiers, en particulier au Royaume-Uni où le Brexit a aggravé la situation.
Ces facteurs ont influencé à la hausse les prix du transport routier de marchandises en Europe, avec toutefois des disparités selon les marchés. Certaines difficultés deviennent structurelles, à l’instar du manque de chauffeurs. On peut donc s’attendre à une période d'inflation soutenue des taux de fret sur le moyen terme.
Conjoncture : le triptyque croissance, pénuries, inflation
Selon le FMI, la croissance de l’économie mondiale devrait atteindre +5,9% en 2021. En Europe, les prévisions les plus récentes de la Commission européenne, publiées le 11 novembre, font état d’une croissance du PIB de 5% pour la même période. La France manifeste un dynamisme certain, avec une progression prévue à +6,5%. Avec la réduction des restrictions sanitaires, la reprise économique est donc forte et générale, et cette croissance soutenue devrait se maintenir jusqu’à la fin de l’année. Cependant, les perspectives d’un simple "retour à la normale" s’amenuisent.
Tout d’abord, en cette fin d’année, le déferlement d’une cinquième vague et l’émergence du variant Omicron viennent rappeler que l’épidémie de Covid-19 reste bien présente. Il est évidemment impossible à ce stade de mesurer les conséquences économiques de cette cinquième vague, mais le commerce mondial est d’ores et déjà affecté par les fermetures de frontières décidées par certains pays en raison du variant Omicron.
Ensuite, malgré une reprise forte, l’année 2021 a été marquée par une accentuation des pénuries de matières premières et parfois de main d’œuvre. En entretenant une inflation élevée, ce phénomène a grignoté en partie les bénéfices du redémarrage.
L’inflation connaît en effet actuellement une accélération. Selon le FMI, en fin d’année 2021, les prix à la consommation devraient atteindre +2,9% en zone euro, +4% en Allemagne et +2,9% en France. En moyenne annuelle, les dernières prévisions de la Commission européenne annoncent une inflation de 2,6% pour l’Union européenne en 2021, contre +0,7% en 2020. Selon l’Insee, en France, on constate une accélération de la hausse des prix en octobre à +2,6% sur 12 mois.
Un marché du transport routier encore inférieur à 2019
Les projections de marché établies par Transport Intelligence (Ti) montrent que le marché européen du fret routier progresse de 8,6 % en glissement annuel à fin octobre 2021, avec une croissance plus forte à l’international (+11,8%) que sur les marchés domestiques (+7,2%). La vente au détail et le commerce électronique ont stimulé les flux transfrontaliers de biens de consommation. En revanche, de nombreux secteurs industriels comme la construction ont ressenti les effets du ralentissement et des pénuries d’approvisionnement. Comme ces flux ont tendance à être de nature plus nationale, cela a freiné par comparaison la croissance du marché de transport domestique. La reprise du commerce intérieur européen dépasse légèrement celle du reste du monde. Dans le même temps, la croissance des mouvements des transports en lots complets (FTL) a dépassé celle des transports en lots partiels (LTL), les clients cherchant à garantir l'accès à la capacité. Cependant, le LTL devrait représenter 70,8 % du marché total en 2021.
Sur l’année calendaire 2021, la croissance du marché du fret routier en Europe devrait se limiter à 4,7%. Avec un volume de 339,9 milliards d'euros, le marché devrait rester inférieur de 1,5% au niveau de 2019.
Source : Transport Intelligence
Les cinq plus grandes économies - l'Allemagne, la France, l'Italie, l'Espagne et la Grande-Bretagne - représentent environ 60% des ventes totales du transport routier européen de marchandises. L’Allemagne arrive en tête avec une part de marché que les experts de Ti estiment à 20,1%, devant la France (10,7%), l'Italie (9,9%), le Royaume-Uni (9,9%) et l'Espagne (9,6%).
Trois des cinq plus grandes économies d'Europe se remettent toutefois lentement des conséquences de la crise : le Royaume-Uni, l’Italie et l’Espagne. Ces deux derniers pays progressent significativement, mais pas encore suffisamment pour se remettre de l’effondrement de 2020. En revanche, avec une croissance de 4,2 % prévue en 2021, l'Allemagne retrouve quasiment son niveau d'avant la crise (-0,3%). Il est vrai qu’elle avait également connu un déclin moindre durant la pandémie.
Une augmentation des coûts qui devrait se poursuivre
Les tensions inflationnistes n’ont évidemment pas épargné le secteur du transport routier de marchandises. En France, la hausse du prix de revient complet mesurée par le Comité national routier (CNR) atteint en moyenne + 4,8% en 2021 (+5,2% en longue distance). Cette forte hausse a été tirée principalement par l’explosion des cours du gazole.
"Le prix moyen du gazole hors TVA enregistre une inflation très marquée en 2021. En octobre 2021, le prix est supérieur de + 25,1% à son niveau de décembre 2020", précise le CNR. Selon les données de Ti et de l'IRU, les prix du diesel ont également flambé sur tous les autres grands marchés européens : +38,5% en Allemagne au 3è trimestre 2021 par rapport au T3 2020, +26,6% au Royaume-Uni, +25,5% en Espagne et +20,6% en Italie.
Hors gazole, les coûts du transport routier n’ont que très légèrement augmenté, en tout cas en France : +1,5% en moyenne annuelle, estime le CNR. Les composantes de cet indice (salaires, frais de structure, indemnités de déplacement, etc.) ne reflètent aucune rupture majeure en 2021, mais l’on note quand même des frais de maintenance en progression significative (+ 2,7% en moyenne annuelle). Sous les effets de l’inflation des charges d’entretien-réparations (pièces, achats prestations externes, lubrifiants et autres coûts d’atelier) et des coûts de l’AdBlue (inflation moyenne annuelle de +24%), les coûts de réparation ont augmenté de 3,6%.
La pénurie de conducteurs n’a en revanche pas encore produit d’effets lourdement inflationnistes sur les salaires en France, contrairement à ce que l’on constate dans d’autres pays européens. Mais le CNR prévoit pour 2022 une augmentation des coûts du personnel allant de 4,5% à 7,2% selon les scénarios (longue distance). La progression des autres composantes du coût de transport routier devrait se situer entre 3,5% et 4%.
Des prix de transport en hausse au niveau européen
Dans ce contexte de pénurie de chauffeurs à l'échelle européenne et de hausse des prix du carburant, les taux de fret routier ont atteint un niveau record. L’indice de référence du taux de fret routier européen - calculé par transport Intelligence (Ti), Upply et l'IRU - a atteint 107,6 pour le troisième trimestre 2021. Il s’agit du cinquième trimestre consécutif de croissance et du plus haut niveau atteint par cet indice depuis sa création, en 2017.
L'effet le plus aigu dans cette tempête est bien la pénurie de chauffeurs. Il manque environ 400 000 chauffeurs en Europe dont 100 000 chauffeurs en Grande-Bretagne, 65 000 en Allemagne, 40 000 à 50 000 en France.
La reprise économique ne fait qu’accentuer une pénurie qui ne date pas d’hier ! Manque d'attractivité de la profession, vieillissement de la population de conducteurs (dont l’âge moyen est de 44 ans), niveau élevé de qualification requise pour exercer le métier de chauffeurs sont autant de raisons qui expliquent la pénurie.
La production de camions perturbée
Un autre facteur s’est invité en 2021 dans le cortège des perturbations qui ont frappé le transport routier de marchandises : les délais d’attente pour réceptionner des camions neufs. Plusieurs raisons expliquent pourquoi les transporteurs doivent s’armer de patience.
Au printemps 2020, la pandémie a stoppé les investissements dans le matériel roulant dans la plupart des entreprises de transport. Puis, comme la demande est restée malgré tout plutôt vigoureuse, les commandes sont reparties fin 2020 et début 2021. Cet effet retard s’est combiné avec un autre facteur, le cycle de remplacement des flottes tous les 3 ans. Or les ventes de camions ont été très élevées en 2018. Cette hausse brutale de la demande a donc saturé les capacités de production des constructeurs.
Cela a été observé un peu partout en Europe mais surtout en Pologne, comme l'indique le site Trans.info. Dans l'ensemble de l'UE en mars 2021, les immatriculations de camions ont augmenté de 56,8 % mais ce n’est rien comparé aux +127,3% enregistrés en Pologne !
Ensuite, les constructeurs ont rencontré des difficultés de production qui ont également contribué à l’allongement des délais de livraison des véhicules commandés. Non seulement les constructeurs n’ont pas pu augmenter les cadences, mais ils ont même parfois été contraints de suspendre la production, faute d'approvisionnement en circuits intégrés et puces pour le secteur automobile. Toutes les marques ont été touchées.
L’augmentation de la demande concerne aussi les pneumatiques ou les semi-remorques… Ainsi, malgré la relance du marché des transports et la volonté des entreprises de transport de renouveler le matériel roulant, les véhicules et semi-remorques commandés pourraient ne leur parvenir que l'année prochaine.
La transition écologique s’accélère
Enfin, on ne saurait clore ce bilan 2021 du transport routier de marchandises européen sans mentionner le Pacte Vert "Fit for 55" présenté cette année par la Commission européenne. Il s’agit de réduire les émissions de gaz à effet de serre de 55% d’ici à 2030 et d’atteindre la neutralité carbone en 2050.
Les conséquences pour le transport routier de marchandises sont multiples. Plusieurs fédérations professionnelles européennes, dont la FNTR en France, alertent sur le risque de fragilisation d’un secteur qui a pourtant démontré son caractère stratégique durant la pandémie. "Il est clair que la double et triple imposition des mêmes émissions de CO2 via différents outils tels que le système d’échange de quotas d’émission (EU ETS), la directive "Eurovignette" et la directive sur la taxation de l’énergie doivent être évitées. Les entreprises de transport routier sont plus que disposées à se tourner vers des technologies neutres pour le climat dès qu’elles sont disponibles à des prix compétitifs et accompagnées par les infrastructures vertes correspondantes", indique un communiqué conjoint de la FNTR et de ses homologues d’Allemagne et des pays nordiques.
Le secteur foisonne d’initiatives dans ce domaine. TotalEnergies et Daimler Truck AG ont signé en novembre un accord en faveur de la décarbonation du fret routier dans l'Union européenne. Les partenaires souhaitent développer des écosystèmes dédiés aux poids lourds fonctionnant à l'hydrogène. Le but est de démontrer l'attractivité et l'efficacité des camions alimentés par de l'hydrogène vert mais aussi de jouer un rôle de premier plan dans le lancement et le déploiement d'infrastructures à hydrogène pour le transport. Le développement de l’électrique dans le transport routier était également à l’honneur lors de Solutrans, le principal salon français du véhicule industriel et urbain. Toutes les marques ont présenté des modèles électriques.
Si personne ne conteste la nécessité de cette transition écologique, il apparaît toutefois clairement qu’elle a un coût vertigineux. De quoi alimenter encore un peu plus les tensions inflationnistes constatées en 2021.