La France fait partie des pays pionniers en matière de projets de transport maritime de conteneurs à la voile. La crise énergétique globale renforce l’intérêt de ce qui ne paraissait au départ qu’un doux rêve.
Crédit photo : © Zéphyr et Borée
Le transport maritime international ne représente que 2,5% des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Néanmoins, le secteur doit prendre sa part des efforts engagés pour lutter contre le réchauffement climatique, et donc s’engager sur la voie de la décarbonation. Depuis quelques années, un regain d’intérêt se manifeste pour une énergie renouvelable aussi ancienne que délaissée : le vent.
Plusieurs projets ont vu le jour, et la France se montre très active dans ce domaine. Les chargeurs ont bien compris que la transition énergétique n’était pas une option. L’AUTF a mené une action forte pour soutenir les nouveaux projets, par le biais d’adhérents désireux d’être partie prenante de projets éco-responsables diminuant sensiblement l’empreinte carbone des marchandises transportées.
La crise énergétique globale que nous traversons actuellement renforce encore l’intérêt pour de telles approches sur le long terme et plusieurs projets sont aujourd’hui matures. Nous n’avons pas ici la prétention d’en dresser la liste exhaustive, mais plutôt d’évaluer les enjeux et défis qui se présentent.
Propulsion principale ou propulsion d’appoint ?
Cette clé de tri nous permet de sérier les types de projets.
- Sur le Transatlantique, grâce aux vents et courants plutôt favorables durant une grande partie de l’année, la propulsion principale vélique fait sens, couplée à des systèmes auxiliaires les plus vertueux possibles de type thermique/électrique.
- Sur les autres grandes routes maritimes que sont le Transpacifique et l’Asie/Europe, l’affaire est plus complexe car intrinsèquement difficilement compatible avec une notion de service régulier. En revanche, l’utilisation du vent comme force motrice d’appoint dans certaines conditions de navigation peut théoriquement apporter des gains de 10 à 20% de consommation de carburant classique sur une rotation deep sea.
Pour ces propulsions d’appoint, les technologies de type Kite depuis une mâture dédiée en proue de navire ont été largement testées et fonctionnent tant que la navigation ne se fait pas face au vent. La manœuvre et le réglage du kite reste un problème car le processus reste faiblement automatisé et demande des formations spécifiques pour les équipages, déjà forts occupés dans le cadre d’une navigation standard. De plus, il faut des conditions de navigation favorable d’au moins 5 à 6 heures par Kite pour que cela vaille la peine de le déployer.
"Ro" comme "RoRo" ou comme Ro…mantique ?
Le choix du RoRo semble l’emporter dans les projets en compétition, en raison de sa flexibilité, de ses pontées plus dégagées pour la propulsion, de son faible tirant d’eau et de son encombrement réduit qui optimise les options opérationnelles à quai dans des espaces portuaires de plus en plus saturés.
Ce concept de "clippers modernes" présente un bilan carbone imbattable, et valorisable également en termes de communication. En revanche, il présente un inconvénient majeur : une faible capacité d’emport, surtout pour des conteneurs complets obligatoirement sur remorques. Même avec des taux de fret transatlantiques actuellement vigoureux, la rentabilité n’est pas démontrable à ce stade.
- Neoline
Parmi les projets de cargos à voile les plus avancés figure sans conteste Neoline. Cette entreprise créée en 2015 veut lancer en 2024 une nouvelle ligne transatlantique régulière entre Saint-Nazaire et Halifax/Baltimore, avec deux passages à St-Pierre-et-Miquelon. La ligne sera desservie grâce à deux navires, afin de permettre deux départs par mois. Ces "Neoliner" ont une capacité de 280 EVP.
La société a reçu le soutien de grands "chargeurs-partenaires". Mais malgré ces références prestigieuses et un concept opérationnel porté par des professionnels reconnus, l’entreprise peine depuis 2 ans à transformer l’essai. En mai 2022, le groupe Sogestran, qui était entré au capital de Neoline en 2020, a annoncé qu’il se retirait du projet. Les banques consultées pour financer la construction des deux premiers navires se sont alors montrées plus que frileuses...
- Zéphyr et Borée
En 2019, aux côtés de la société Jifmar, Zéphyr et Borée a remporté l’appel d’offres pour l’acheminement des tronçons du nouveau lanceur spatial Ariane vers la Guyane. Le Canopée, un navire roulier de 121 mètres équipé de quatre ailes articulées, doit être mis en service fin 2022 puis effectuer ses premiers voyages vers la Guyane en 2023.
Zéphyr et Borée est également présent sur le segment du transport maritime de conteneurs, grâce au soutien actif des chargeurs. L’entreprise a remporté un appel d’offre lancé par l’Association des chargeurs pour un transport maritime décarboné, sous l’égide de France Supply Chain et de l’AUTF. Le projet consiste à mettre en place deux liaisons hebdomadaires transatlantiques entre l’Europe et l’Amérique du Nord à compter de 2024, en s’appuyant sur des porte-conteneurs majoritairement propulsés grâce au vent. Zéphyr et Borée propose une solution basée sur l’exploitation de 10 à 12 navires de 600 EVP. Il se positionne donc sur un format industriel dès le début de son projet, avec une promesse d’entrer réellement en compétition tarifaire frontale avec le marché carboné en place. Cela étant dit, cet appel d’offres n’est qu’une première étape, et les chargeurs doivent maintenant s’engager formellement pour que le projet ait une chance d’aboutir. L’argent reste le nerf de la guerre. Or n’y a qu’un seul CMA CGM, et il vient de choisir son camp.
Trouver des soutiens financiers
Déjà sollicité dans les dossiers épineux de Gefco ou Air France, CMA CGM vient en effet d’être une nouvelle fois appelé à la rescousse. Le groupe a annoncé début septembre 2022 une prise de participation dans Neoline. Le grand groupe familial que l’on ne présente plus signe peut-être là un de ses derniers investissements significatifs avant le retour du boomerang financier du marché des taux de fret que l’on commence déjà à ressentir.
C’est heureux pour Neoline, qui peut continuer son aventure passionnée et avoir une chance de démontrer son postulat de service efficace et éco-vertueux, avec davantage de certitudes concernant la construction rapide d’un premier navire. C’est courageux de la part de CMA CGM, alors que la rentabilité du projet sur le long terme reste à démontrer. Mais c’est aussi très habile sur un plan politique.
- Le projet est un soutien supplémentaire à la filière française de formation des officiers de marine marchande et des marins, ce qui va dans le sens des intérêts de CMA CGM pour le reste de sa flotte.
- C’est un outil de promotion parfait pour trouver de nouveaux talents prêts à embrasser une carrière dans le transport maritime, particulièrement pour ceux qui craignaient d’être stigmatisés en travaillant dans un secteur réputé peu vertueux sur le plan écologique.
- La route maritime St Nazaire-Baltimore avec un passage à Saint-Pierre-et-Miquelon permettrait à nouveau d’avoir un lien direct entre la métropole et ce territoire, ce qui est un grand plus en matière de continuité territoriale. Là aussi, la compagnie "patriote" marque des points.
Les pionniers français de la propulsion vélique pourront-ils s’appuyer sur d’autres grands groupes ? Certains s’emparent en tout cas du sujet. Le groupe Michelin apporte ainsi un soutien actif à la filière, d’une part en tant que chargeur via son soutien à Neoline, et d’autre part en mobilisant son service Recherche & Développement pour concevoir une aile gonflable, rétractable et automatisée.
Ces projets font peut-être l’objet d’une attention excessive par rapport à leur potentiel marchand réel, mais faut-il les condamner dans l’œuf pour autant ? Il est indubitable qu’il y aura beaucoup à apprendre de ces laboratoires véliques et que ces initiatives techniques innovantes méritent d’être soutenues par postulat. Souhaitons-leur tout le succès qu’elles méritent, y compris en mettant un coup de projecteur sur les capacités d’innovation du secteur maritime.