La régularité du service a longtemps constitué l’un des fondamentaux du transport maritime de conteneurs. Mais les compagnies tendent aujourd’hui à s’écarter de ce modèle historique au profit d’une offre de service hybride.
Fait marquant depuis quelques années, les compagnies maritimes de lignes régulières sont désormais capables d’adapter leurs capacités aux évolutions du marché de façon très agile. Une réactivité qui a pour effet de dégrader le service en matière de fréquence de départ et de temps de transit, mais qui permet de maintenir les taux de fret à des niveaux substantiels comme on a pu le voir au plus fort de la crise du coronavirus, malgré la baisse de la demande.
Cette tendance remet profondément en question les fondements de la ligne maritime régulière. Historiquement, la capacité à assurer des services cadencés était un marqueur décisif, qui caractérisait les compagnies "de pointe". Cet état d’esprit avait vu le jour dans l’aérien, avec les exploits quotidiens des Guillaumet et Saint Exupéry pour acheminer le courrier à date et heure fixe, quelles que soient les conditions météorologiques, politiques, géographiques, etc...En maritime, dans l’entre-deux guerres, les compagnies de lignes régulières (CGT, CUNARD, US Lines, Italia di Navegazzione…) se targuaient du respect de la vitesse et mettaient un point d’honneur à respecter leurs engagements en matière de délais vis-à-vis de leur clientèle de première, seconde et de troisième classe.
Une dégradation des prestations
L’avènement du yield management a sonné le glas de cette attitude chevaleresque au profit d’une approche nettement plus pragmatique. Aujourd’hui, il arrive que des compagnies de ligne régulière retardent d’une semaine le départ d’un navire plein aux deux tiers, et ce de façon unilatérale.
La dégradation des services maritimes de ligne régulière est une réalité mathématique. En 20 ans, un service Shangai-Le Havre est passé de 27 à 40 jours de temps de transit moyen, malgré les progrès technologiques. Les opérateurs sont d’ailleurs conscients de la situation et commencent à réagir. CMA CGM cherche ainsi à se démarquer sur le marché en offrant un nouveau service premium, "Sea Priority Go", officialisant de fait un statut VIP à certaines marchandises (chargement sur premier navire en partance avec le transit time le plus performant, passages portuaires accélérés). Autre exemple : Hapag Lloyd met aussi l’accent sur sa promesse qualité avec un objectif de 95% de "Loaded as Booked".
Les conteneurs restant à quai (roll over) sont une catastrophe pour les clients comme pour les compagnies. Pour les clients, au-delà de la frustration immédiate, cela peut entraîner des pénalités au titre des contrats commerciaux. Pour les compagnies, ces conteneurs restés à quai sont synonymes de travail administratif fastidieux, les systèmes d’information ne permettant pas toujours de gérer aisément et dans l’urgence des reports d’un navire sur un autre. D’ailleurs les professionnels le savent : le plus gros risque d’un conteneur resté à quai...c’est qu’il reste encore à quai lors de l’escale du navire suivant ! Nous avons même vu l’apparition de "navires balais" ayant pour finalité de charger ponctuellement des reliquats de conteneurs restant à quai.
Vers un service hybride
Le modèle du transport maritime de conteneurs a donc considérablement évolué. La ligne n’est plus si "régulière" que cela, puisqu’elle s’adapte de façon permanente à la demande sans pour autant entrer dans le champ du « tramping » pur (affrètement dédié au voyage). On peut parler aujourd’hui de modèle hybride basé sur une forme de "semi-tramping" : on retrouve d’un côté, pour le haut du marché (la première classe des Liners d’antan), un service premium assorti de garanties optimisant les ressources à disposition, et d’un autre côté, pour la deuxième et la troisième classe, des navires balais qui ramassent les conteneurs orphelins de leur navire initial de partance…
Certains diront que la massification des volumes et l’hégémonie des systèmes d’informations rendent inévitable ce type de traitement du fret, d’autres que les compagnies maritimes profitent de la situation pour faire payer plus cher un service dégradé. N’oublions pas quand même que le transport maritime conteneurisé reste au final peu onéreux. Mais il est certain qu’entre la Chine et l’Europe, l’esprit de "Ligne" originel se retrouve davantage dans les nouveaux services ferroviaires des Routes de la soie que dans les dessertes maritimes.