La réforme européenne de la TVA pour le commerce électronique transfrontalier devrait conduire les e-commerçants non-membres de l’UE à mettre en place de nouveaux schémas logistiques.
La réforme européenne de la TVA pour le commerce électronique transfrontalier est entrée en vigueur le 1er juillet 2021. Elle supprime l’exonération de TVA pour les colis d'une valeur inférieure à 22 euros et introduit un nouveau système de guichet unique à l’importation (IOSS). Cette réforme a pour objectif de permettre aux e-commerçants européens d’être en compétition à armes égales avec leurs homologues internationaux. Bien qu'elle s'applique à tous les pays non-membres de l'UE, elle touche principalement les e-commerçants chinois et britanniques, deux des plus gros acteurs du commerce électronique transfrontalier à destination de l'UE. Dans cet article, nous évoquerons les conséquences que peut avoir cette réforme de la TVA sur les opérations logistiques.
Impact sur les volumes
On peut s'attendre incontestablement à une diminution des expéditions de produits à faible valeur ajoutée entrant dans l'UE par le canal du commerce électronique, en raison d’un changement dans le comportement des consommateurs et dans la stratégie commerciale des e-commerçants.
D'une part, les commandes sur des sites de e-commerce hors UE peuvent perdre de leur pertinence aux yeux des consommateurs. Une étude réalisée par l’International Postal Corporation montre une corrélation négative entre la propension des consommateurs à effectuer des achats transfrontaliers et le montant des frais additionnels facturés. 70% des personnes interrogées ont tendance à abandonner l'option transfrontalière lorsqu'il y a un supplément de 10 euros.
D'autre part, les e-commerçants situés hors UE devront également réévaluer le marché européen et leur stratégie en fonction de la nouvelle donne en matière de TVA. L'érosion de la compétitivité des prix est particulièrement significative pour les vendeurs chinois. L’analyse de la situation dans des pays ayant déjà instauré ce type de mesures, comme la Norvège, permet d’observer l'impact sur la demande des consommateurs. Dans le rapport 2020 sur le commerce électronique publié par PostNord, on constate que la part du commerce électronique transfrontalier en provenance de Chine dans les achats en ligne des Norvégiens a diminué de 36% à 30% suite à la levée de l'exemption de TVA pour les produits de moins de 350 NOK (environ 34 euros) depuis le 1er janvier 2020. Cependant, la Chine reste la première source d'achats de commerce électronique transfrontalier en Norvège, indépendamment de ce changement.
Les vendeurs britanniques ont quant à eux été pris entre deux feux : le Brexit et la réforme de la TVA. Selon le Financial Times, les PME britanniques sont confrontées à des coûts administratifs supplémentaires de 180 millions de livres sterling en raison de la réforme de la TVA de l'UE. Ce surcoût a conduit certains petits e-commerçants à quitter le marché européen. Dans le même temps, les e-commerçants de l'UE risquent de perdre des parts de marché au Royaume-Uni, car ce pays a également mis fin à l'exemption de TVA pour les colis de commerce électronique transfrontalier de moins de 15 livres à compter du 1er janvier 2021.
Impact sur les schémas logistiques
La réforme de la TVA devrait par ailleurs accélérer la transition d’un modèle d’acheminement B2C vers un modèle B2B2C. Dans ce schéma, les e-commerçants qui effectuent du commerce électronique transfrontalier s’appuient sur des centres de distribution implantés dans l’UE, au lieu de procéder à des expéditions internationales directes, ce qui permet de réduire les perturbations dues aux changements réglementaires et de raccourcir les délais de livraison pour les consommateurs finaux. Des vendeurs chinois et britanniques ont déjà adopté une telle stratégie.
Selon l’étude de l’International Post Corporation, environ 37% des achats transfrontaliers du commerce électronique étaient inférieurs à 25 euros à l'échelle mondiale en 2020. La réforme de la TVA peut donc générer une demande importante de services de traitement local des commandes de la part de e-commerçants non-européens. Globalement, trois types d’organisation sont envisageables pour mettre en place ce type de services.
- Gestion déléguée aux plates-formes de commerce électronique
La plupart des e-commerçants chinois s'appuient sur les services de gestion des commandes proposés par les grandes plates-formes de commerce électronique, comme Amazon (Fulfilled by Amazon) ou AliExpress. Les vendeurs chinois représenteraient plus de la moitié des 10 000 meilleurs vendeurs sur Amazon en Espagne, en France et en Italie, et 40% en Allemagne.
- Gestion en propre
En raison de l'investissement important que représente l'exploitation de ses propres centres de traitement des commandes, cette option est généralement envisagée par les grandes entreprises de commerce électronique. Par exemple, certaines sociétés britanniques spécialisées dans la vente d'ustensiles de cuisine ou encore de bijoux en ligne ont déployé ou prévoient de construire des centres de traitement des commandes dans l'UE, par exemple aux Pays-Bas.
- Gestion confiée à des sociétés spécialisées
Les logisticiens proposent également des services de traitement des commandes et de distribution. Ce type de services fait l'objet d'une demande croissante de la part des e-commerçants chinois et bénéficie d’un soutien politique fort de la part du gouvernement chinois [1]. Le développement de ce type de centres à l'étranger est abordé dans le 14è plan quinquennal de la Chine comme l'une des stratégies visant à faciliter le commerce international.
En 2020, il y avait environ 1800 centres de traitement chinois dans le monde. Un chiffre en croissance de 80% par rapport à l’année précédente. La majorité d'entre eux se trouvent aux États-Unis et en Europe. L'Allemagne, l'Espagne et la Pologne figurent parmi les lieux d'implantation privilégiés des opérateurs chinois en Europe.
Impact sur le transport
Ce changement de modèle d’organisation logistique devrait aussi avoir un impact sur le choix des moyens de transport pour acheminer les marchandises à faible valeur ajoutée, avec une réduction du recours au fret aérien au profit d'autres modes. Certains opérateurs de fret ferroviaire chinois ont commencé à offrir depuis le deuxième semestre de 2020 un service spécialisé de fret ferroviaire transfrontalier B2B pour le commerce électronique vers plusieurs destinations européennes, telles que Duisbourg, Hambourg et Budapest.
Le passage à un modèle de traitement des commandes au niveau local a par ailleurs pour conséquence naturelle d’accroître les exigences en matière d'analyse des données. La localisation des centres de traitement en Europe signifie que les vendeurs doivent expédier à l'avance les marchandises. Une prévision précise de la demande des consommateurs étrangers est alors essentielle pour améliorer l’efficacité globale de la chaîne d'approvisionnement.
[1] En chinois, on les appelle "entrepôts/centres de distribution overseas", car ils sont situés en dehors de la Chine.