La France stagne désespérément aux alentours du 15ème rang mondial pour ses performances logistiques, selon le classement de la Banque mondiale. Chargés par le gouvernement d’élaborer des propositions pour enfin changer la donne, Éric Hémar, Pdg d’ID Logistics et Patrick Daher, président du groupe Daher ont dressé un état des lieux lors des Journées TLF, aux côtés de représentants de l’industrie et du commerce.
Combler le déficit de compétitivité par rapport aux concurrents européens, améliorer l’attractivité d’un secteur épanouissant mais méconnu, faire preuve de davantage de capacités d’innovation, et tout cela en étant force de proposition sur le développement durable "dans un contexte où la pression des mesures environnementales va devenir de plus en plus forte, que l’on soit d’accord ou pas". Voilà les quatre chantiers auxquels veut s’atteler le nouveau président d’Union TLF, Éric Hémar, élu en mars dernier.
Et pas question de laisser les ambitions se diluer au fil du temps. "Nous allons demander aux différents conseils de métiers et commissions de définir leurs priorités, qui seront réunies dans un projet TLF bouclé d’ici fin septembre pour donner une perspective. Ce projet guidera ensuite notre action pour les trois ans qui viennent", précise Éric Hémar.
Un constat sévère
Sur la question de la compétitivité, le nouveau président de TLF, par ailleurs Pdg de ID Logistics, a déjà une idée assez précise des pistes à suivre, et pour cause : en février dernier, il a été investi par le gouvernement d’une mission sur la compétitivité de la chaîne logistique française, aux côtés d’une autre personnalité du secteur, Patrick Daher, président du groupe Daher.
Le rapport définitif, initialement attendu pour le mois de mai, devrait finalement être rendu public dans les prochaines semaines. Mais à l’occasion des Journées TLF qui se tenaient le 27 juin dernier, les deux dirigeants ont esquissé les attentes lors d’une table ronde qui réunissait également Philippe Varin, président de France Industrie, et Jacques Creyssel, directeur général de la Fédération du commerce et de la distribution.
En préambule, Patrick Daher a rappelé ce constat sans appel. Depuis une dizaine d’années, la France stagne au classement de la Banque mondiale sur la performance logistique des pays, occupant bon an mal an le 15ème ou le 16ème rang.
Partir des besoins du client
Pour identifier les raisons de cette stagnation, les rapporteurs ont tout d’abord commencé par changer d’angle de vue. "En France, on a l’habitude de considérer la logistique à partir des infrastructures. Nous avons décidé de regarder le sujet en partant du client et des besoins qu’il a pour être compétitif", indique Patrick Daher.
Les deux professionnels ont aussi tenu à prendre connaissance des travaux déjà menés sur ce terrain souvent labouré. "On a demandé à avoir communication de l’ensemble des rapports déjà sortis sur le sujet, dont certains sont publics, comme France Logistique 2025, et d’autres plus confidentiels. Résultat : on a trouvé des rapports très pertinents, mais pour constater la non application globale de l’ensemble des recommandations", raconte Éric Hémar.
Faire le tri entre vrais écarts et idées reçues
Les rapporteurs en ont tiré une conclusion : conjurer le handicap actuel de la France suppose sans doute un changement de gouvernance et d’organisation pour porter une vision claire du système, plutôt que de l’adoption de telle ou telle mesure isolée. Mais ils ont aussi eu à cœur d’étayer leur analyse par une approche très concrète. "On a voulu toucher du doigt les écarts en partant de cas concrets. Exemple : un grossiste logistique implanté dans le sud des Pays-Bas pour livrer toute l’Europe. Nous avons travaillé sur un déplacement de ce site en Allemagne et en France, et on s’est alors aperçu que nous avions plusieurs faiblesses dans notre chaîne logistique", détaille Éric Hémar.
Attention toutefois aux idées reçues. Cet exemple a permis de constater qu’un toucher au Havre ou à Rotterdam en maritime revient à peu près au même prix, de même que les prestations portuaires. Dans ce domaine, le handicap n’est pas tant factuel que psychologique puis qu’il est avant tout lié aux craintes persistantes des grands chargeurs quant à la fiabilité des opérations.
En revanche, les résultats sont très décevants en matière de post-acheminement. "Aux Pays-Bas et en Allemagne, près de 50% des flux sortent en transport massifié contre 13-14% au Havre et à Marseille. Cela génère un écart important en termes de prix, ce qui permet de souligner d’ailleurs que la question de la compétitivité rejoint celle du développement durable", illustre Éric Hémar.
Deuxième idée reçue battue en brèche : les coûts de personnel. Dans l’entrepôt, le tarif horaire est sensiblement identique dans les trois pays pour les préparateurs de commandes. "En revanche, le salaire net touché par le Français est 20% inférieur au net de l’Allemand ou du Hollandais", fait remarquer Éric Hémar. Côté immobilier, la France se situe plutôt dans le bas de la fourchette pour les loyers, "mais la fiscalité foncière la fait remonter dans le haut de la fourchette". Enfin, en matière de distribution, le surcoût serait de 10 à 15% si les conducteurs étaient français, a signalé le rapporteur.
Une trop grande dispersion des forces
Comment s’attaquer à ces handicaps ? "Avant d’invoquer l’État, nous devons nous regarder dans la glace", souligne Éric Hémar. À l’échelon des organisations professionnelles, d’abord, les rapporteurs estiment que la France doit dépasser la dispersion actuelle. Il ne s’agit pas de contester la légitimité de telle ou telle ou de les regrouper, mais de créer une plate-forme "France Logistique" qui traiterait les sujets stratégiques communs à la filière (formation, attractivité de la filière, recherche). En Allemagne, il existe une grande fédération et aux Pays-Bas un comité des Sages.
Sur le terrain aussi, les rapporteurs préconisent une approche radicalement différente. "Nous devons réorganiser nos métiers afin d’être plus compétitifs pour les industriels. En France, chacun tire dans son coin. Il y a un mitage territorial des entrepôts et des usines, qui favorise la multiplication des camions sur les routes et la perception de la logistique comme une nuisance. La première responsabilité nous appartient, à nous chefs d’entreprise. Pour massifier, il faudrait privilégier certaines zones logistiques", note Patrick Daher.
"On a vécu sur une idée de la France centre de l’Europe. Aujourd’hui on doit réagir et c’est encore plus vrai si l’on se projette dans les 5 ans qui viennent, avec des projets comme les routes de la Soie ou encore avec le développement de la taille des porte-conteneurs", renchérit Éric Hémar, estimant qu’en France, les nouvelles régions constituent une bonne échelle, en termes de taille, pour structurer la filière.
Accompagner la reconquête industrielle
Cette approche globale rejoint celle de l’industrie. Le secteur a connu une période difficile, passant de 20% à 12% du PIB. "Le déclin est enrayé mais le problème de compétitivité reste critique. La question de la reconquête industrielle est devant nous", a indiqué Philippe Varin, président de France Industrie. Là aussi, un travail de structuration est en cours. "On a décidé de recréer 16 filières, avec à chaque fois des présidents qui sont des industriels et non plus des ministres", souligne Philippe Varin. Cinq thématiques transversales ont par ailleurs été identifiées :
- le numérique
- l’innovation
- les compétences
- l’accélération des entreprises
- l’international
Autant de thèmes sur lesquels la logistique peut également avoir un rôle clef à jouer, sans compter l’enjeu de transition écologique. "On est entré dans une phase de co-construction des objectifs sur le climat et sur l’économie circulaire".
La logistique joue un rôle tout aussi clef dans le secteur du commerce, et plus encore avec l’avènement du modèle omnicanal. "Elle est désormais au cœur de l’efficacité du système", estime Jacques Creyssel, le directeur général de la Fédération du commerce et de la distribution. De la gestion de stocks à la livraison du dernier kilomètre en passant par la mutualisation, les métiers du commerce, de l’industrie et de la supply chain sont incontestablement plus imbriqués que jamais.
Crédit photo : @ Anne Kerriou