La désorganisation actuelle du transport international, et notamment du maritime, remet au goût du jour le concept de "one stop shopping". Compagnies et commissionnaires multiplient les incursions dans l’autre "camp".
En ce début d’année 2021, la désorganisation du transport international engendrée par la pandémie de la Covid-19 reste de mise. Dans le transport aérien comme dans le transport maritime de conteneurs, l’accès aux capacités devient problématique, et les taux de fret se maintiennent à des niveaux extrêmement élevés.
Dans le transport maritime, la crise de l’offre est en passe de devenir structurelle, tant en matière de départ de navires que de mise à disposition de conteneurs, faisant ressurgir un concept très en vogue à la fin des années 90 et au début des années 2000 : le "one stop shopping". L’idée consiste à présenter au client chargeur une offre commerciale couvrant l’ensemble de ses besoins. Le prestataire doit donc pouvoir contrôler tous les métiers de la chaîne pour proposer une solution intégrée, avec une couverture mondiale et des contrats longs.
Qui peut piloter cette offre intégrée ?
Les prix de transport élevés ont permis aux opérateurs de transport de restaurer ou consolider leurs marges, ce qui leur ouvre des perspectives d’investissement nouvelles. Mais plusieurs acteurs se disputent le leadership du "one stop shopping".
- Les grands logisticiens internationaux revendiquent leur savoir-faire en matière de pilotage global, qui constitue même leur raison d’être. La plupart ont déjà l’expérience de la gestion de moyens de transport via l’activité Route. Mais la chose est évidemment plus complexe quand l’on parle de transport maritime ou aérien. Historiquement, pourtant, certains ont développé une expertise dans ce domaine, faute de trouver une réponse à leurs besoins auprès des transporteurs. Spécialiste du fret aérien, Panalpina a ainsi de tout temps eu recours à l’affrètement d’avions sur certaines destinations mal desservies par les compagnies aériennes.
Les difficultés d’accès aux capacités dans le transport maritime de conteneurs poussent aujourd’hui certains commissionnaires de transport internationaux à poursuivre cette logique en affrétant ponctuellement des navires. C’est le cas, par exemple, de DSV ou de Geodis. Ces quelques incursions des NVOCC en tant que VOCC ne permettront évidemment pas d’infléchir la courbe des taux de fret à la baisse. En revanche, elles sont pour les commissionnaires un moyen d’apporter une vraie proposition de valeur à leurs clients et ainsi les fidéliser en leur trouvant des solutions.
Il n’est cependant pas du tout question pour eux de devenir transporteur à part entière. La notion "d'asset-light company" est au cœur de leur proposition de valeur pour leurs actionnaires. D’autre part, les commissionnaires sont bien conscients qu’ils n’ont pas la puissance de négociation et l’expertise nécessaire pour bien négocier des droits de port, des contrats de manutention portuaire, du pilotage, du remorquage, du lamanage, des soutes, de la maintenance et réparation de conteneurs, etc... Bref, c’est un métier !
- De leur côté, les grandes compagnies maritimes commencent à s’intéresser de près au gâteau des prestations logistiques. CMA CGM a racheté Ceva Logistics dans cette optique. Le groupe Maersk, qui comptait dans ses rangs le commissionnaire Damco, a quant à lui purement et simplement faire disparaître cette marque fin 2020 : les activités ont rejoint le pôle de services logistiques de Maersk. CMA CGM comme Maersk affichent ainsi une ambition claire : proposer à leurs clients une palette complète et intégrée d’offres de transport et de logistique. CMA CGM vient même de franchir une nouvelle étape en annonçant le lancement de services de fret aérien.
L’impact de la digitalisation
Côté commissionnaires comme côté transporteur, la tentation de franchir la frontière a toujours été grande, sans véritablement se concrétiser, en tout cas en Europe. Mais les solutions digitales B to B sont en train de rapprocher irrémédiablement ces deux mondes, surtout pour les expéditions spot.
Examinons les principales étapes digitales d’une opération conteneurisée internationale isolée, en nous plaçant dans la situation d’un chargeur qui peut traiter soit avec une compagnie, soit avec un commissionnaire.
- La cotation
Les deux proposent une cotation en ligne. Les prix sont assez similaires pour un conteneur complet, en tout cas sur les grands axes où les trois grandes Alliances maritimes sont présentes.
- L’empotage et dépotage dans la zone portuaire
Gros avantage sur ce point au commissionnaire, bien installé dans les ports, et qui sait négocier finement les prestations terrestres.
- La réservation
Les deux le proposent, mais avantage au commissionnaire qui peut offrir une palette de départs plus large que la compagnie consultée en direct.
- La documentation dématérialisée
Les deux le proposent, match nul sur ce point.
- Le track and trace
Les deux le proposent, match nul sur ce point.
- L’assurance transport
Les deux le proposent, match nul sur ce point.
- La facturation dématérialisée
Les deux le proposent, mais les commissionnaires sont toujours un peu plus enclins à la négociation sur les délais de paiement.
- L’encaissement
Les deux le font, maintenant quasi obligatoirement par virement. Attention à la question des taux de change pratiqués et des accords d’encaissement en devise sur lesquels les approches peuvent différer. Il est toujours bon d’aborder ces questions au moment de la cotation.
Les e-commerçants mondiaux en embuscade
La digitalisation des métiers, en pleine accélération, rapproche donc beaucoup la philosophie des offres de service. Sans aller jusqu’à une confusion des genres, nous constatons qu’il y a en fait relativement peu d’éléments différenciants en matière d’offre digitale. À ce stade, on peut estimer que les commissionnaires ont une petite longueur d’avance par rapport aux compagnies sur ce terrain de l’offre digitale, par la diversité des propositions de départs et de routings alternatifs.
Mais un troisième acteur pourrait bien s’inviter autour de la table : le chargeur. Évidemment, le ticket d’entrée n’est pas à la portée de n’importe qui. Mais les e-commerçants mondiaux, qui brassent d’énormes volumes, sont déjà dans les starting-blocks. Dès 2016, Amazon a obtenu une licence de NVOCC lui permettant de proposer à des tiers des services de transport maritime, en particulier entre la Chine et les États-Unis. Il continue d’étoffer parallèlement sa flotte aérienne. Alibaba montre également son appétit dans le domaine des services logistiques.
Ces nouveaux acteurs pourraient bien briser l’équilibre des forces qui a jusqu’à présent préservé les frontières entre commissionnaires et transporteurs, et rebattre fondamentalement les cartes des schémas logistiques internationaux.