L’été est une période propice pour sortir des sentiers battus tout en continuant de traiter un sujet qui m’est cher : le transport. Mais pourquoi donc l’associer à Napoléon et à l’économie numérique ? Réponses dans ce premier volet de notre série de parallèles entre l’époque napoléonienne et la nôtre.
La logistique est issue de l’art militaire. Dès 1838, le Suisse Antoine-Henri de Jomini, qui combattit dans l’armée de Napoléon, pose les bases de la logistique moderne. Il écrit le « précis de l’art de la guerre », devenant le premier théoricien militaire à consacrer des pages à la logistique, dans un chapitre intitulé « la logistique ou art pratique de mouvoir des armées ».
1/ En quoi la logistique devient clef dans la guerre napoléonienne ?
Les changements au cours du XVIIIe siècle ont rendu le mouvement crucial, et fait de la rapidité des armées une capacité stratégique. Pour gagner en rapidité, Napoléon a exploité (sans inventer) deux innovations majeures de l’armée française : le système « Gribeauval », standardisant l’artillerie française dans l’objectif de disposer d’une artillerie plus mobile, ainsi que le système divisionnaire, qui consiste à fractionner l’armée en unités standard de même effectif, composées des trois armes (infanterie, cavalerie, artillerie). À partir du camp de Boulogne, ces divisions atteignent 25 000 à 30 000 hommes et deviennent des corps d’armée. Ils permettent de mener la guerre en embrassant l’ensemble du théâtre d’opération, tout en fluidifiant et accélérant les mouvements de l’armée.
Libérer des contraintes d’approvisionnement
Grâce à ces deux innovations, Napoléon peut articuler son armée en unités détenant chacune, outre de l’infanterie, de l’artillerie puissante et très mobile, ainsi que de la cavalerie. Pendant les phases de manœuvre, il peut désormais séparer ses unités – de taille modérée - pour qu’elles puissent vivre dans le pays sur des territoires distincts ; l’armée exploite ainsi un espace plus grand pour se nourrir. En même temps, ces unités, dotées de capacité de combat multi-arme, ne sont pas trop vulnérables bien qu’isolées. Elles disposent de quoi résister à une armée ennemie le temps nécessaire à Napoléon pour voler à son secours avec d’autres unités légèrement éloignées.
Ces innovations allègent les contraintes pour l’armée napoléonienne. Cette organisation permet en effet d’éviter un certain nombre de convois d’approvisionnement et ainsi d’accélérer les mouvements de l’armée.
Se disperser pour vivre, se concentrer pour combattre
La stratégie de Napoléon consiste à chercher une configuration de « bataille décisive ». Il s’agit d’amener les armées adverses dans une position respective telle que l’ennemi soit privé de chemin de retraite, afin de l’obliger à combattre. La clef pour Napoléon est donc d’être en mesure de faire converger rapidement, et au moment soigneusement choisi, ses unités dotées d’une artillerie puissante et mobile. À la fois pour créer cette position qui impose le combat et aussi pour disposer de forces supérieures à celles de l’ennemi afin d’être victorieux (voir l’article de The Conversation : « Jomini, le « devin de Napoléon » qui inventa la logistique »)
La disruption napoléonienne vient bien d’une application méthodique d’un système de standardisation et de regroupement des armes en divisions. C’est le socle qui permet d’accélérer le mouvement des armées, de manœuvrer l’ennemi afin d’atteindre la supériorité numérique à l’endroit voulu pour son anéantissement.
2/ Quel lien entre nos deux époques ?
Quel rapport entre nos logiques économiques actuelles et les systèmes de guerres qui prévalaient il y a plus de deux siècles ? D’un point de vue économique, nous assistons ces dernières années à un passage d’une logique qualifiée de guerre de siège (ou de position, statique) à une logique de guerre de mouvement.
Dans la « vieille » économie, la logique est de gagner des parts de marché sur ses compétiteurs en grappillant quelques pourcents par un meilleur produit, par un meilleur service tout en étant profitable. Toutes les fonctions de l’entreprise servent le dessein mais en ordre plus ou moins dispersé. C’est le règne du silo. Les objectifs peuvent être divergents. L’existence des compétiteurs est reconnue et acceptée : leurs défaites s’expriment par une baisse de rentabilité et de perte de marché.
Dans le monde nouveau, le cash est disponible. La rentabilité à court terme n’est plus prioritaire. L’essentiel, c’est l’accès rapide à de nouveaux territoires, la domination des compétiteurs grâce à un moteur sacralisé : l’innovation. Toutes les fonctions de l’entreprise agissent de concert. La communication interne et externe, l’échange des données sont primordiaux car ils assurent le développement du business et renforcent le moral des équipes.
Notre économie 4.0 dans sa finalité ressemble aux guerres napoléoniennes !
3/ Et le transport dans tout cela ?
Il est à la fois un rouage essentiel de l’ancienne et la nouvelle économie et un champ nouveau de conquête. Bien évidemment, 99% des composants de n’importe quel produit acheté continue d’être transporté par la route.
Mais de nouveaux enjeux sont fixés au transport :
- Réduire son empreinte écologique,
- S’intégrer parfaitement dans les réseaux de la Supply Chain (voir notre article « organisation des transports : de la décentralisation à l’intégration »).
- Redorer son image pour attirer des chauffeurs.
Comme Napoléon avait créé le train de l’armée en 1800 (train d’artillerie) et en 1807 (train des équipages) afin d’améliorer l’approvisionnement des armées ou réorganisé la cavalerie en divisions pour augmenter sa force de frappe, il nous faut être ce nouvel architecte qui permettra de bénéficier de toutes les avancées digitales pour redonner ses lettres de noblesse « impériale » au transport.
Rendez-vous la semaine prochaine pour notre deuxième volet consacré à … la bataille d’Iéna et l’iPhone d’Apple !