Les États-Unis viennent de publier un plan stratégique national pour le fret. Loin d’opposer les modes les uns aux autres, ce plan définit une vision et des objectifs pour que le système global de transport de marchandises garantisse la compétitivité du pays.
En application d’une loi votée sous l’ère Obama en 2015, le "FAST Act", les États-Unis ont publié en septembre 2020 un plan stratégique visant à améliorer l’efficacité du transport de marchandises. Cette volonté part d’un constat simple : "un système de transport de marchandises multimodal sûr et fiable stimule les exportations, soutient le commerce et alimente la croissance économique". Il constitue donc un élément clé pour "accroître la compétitivité des produits américains sur les marchés étrangers", mais aussi pour "diminuer les coûts, à la fois pour les entreprises et pour les consommateurs".
Pourtant, aux États-Unis comme en Europe, les investissements nécessaires pour garantir l’adéquation du système à cette ambition et à l’évolution des besoins n’ont pas toujours été au rendez-vous. Le plan national stratégique pour le fret débute par un diagnostic et propose trois axes de travail majeurs.
Un système de transport sous tension
Le plan commence par poser un diagnostic clair : le système de transport américain est aujourd’hui sous tension.
- L’augmentation de la demande
L’augmentation de la population et la croissance de l’économie a engendré une forte hausse de la demande. Tous modes et tous types de produits confondus, le réseau de transport américain achemine aujourd’hui 51 millions de tonnes de fret par jour, pour une valeur de 52 milliards de dollars. Comme en Europe, le transport routier de marchandises domine largement, en valeur et en tonnage, notamment sur les distances inférieures à 1200 kilomètres (graphique 1).
Graphique 1 - Caractéristiques des expéditions par mode de transport en 2017 ; Source : National Freight Strategic Plan
Entre 2020 et 2040, la demande de fret devrait augmenter en moyenne d’environ 1,2% par an. Cette croissance devrait bénéficier à tous les modes de transport, mais principalement au mode routier pour lequel une progression annuelle moyenne de 1,5% est attendue.
Graphique 2 - Prévisions d’évolution des volumes de marchandises par mode (milliers de tonnes) ; Source : National Freight Strategic Plan
- Des mutations substantielles
D’autre part, de profondes mutations sont intervenues ces dernières années. La mondialisation des chaînes logistiques, le développement du e-commerce et la concentration urbaine de la population modifient substantiellement les besoins en matière de transport et de livraison.
La mondialisation a engendré une forte hausse des volumes. Le trafic de conteneurs de ports nationaux a augmenté de 25% en dix ans, et le trafic intermodal dépasse désormais le charbon comme première source de revenus pour les principales sociétés de fret ferroviaire des États-Unis, souligne la ministre des Transports, Elaine L. Chao, en introduction du plan national stratégique. Les ports ne constituent pas la seule porte d’entrée internationale : le Top 10 des points d’entrée compte 5 ports, 3 aéroports et 2 sites terrestres.
Les exportations et importations représentaient en 2018 près de 12% en tonnage et 22% en valeur du total des expéditions de fret aux États-Unis. Une proportion qui devrait monter respectivement à 18% et 39% d’ici 2045.
Graphique 3 : Top 10 des points d’entrée et de sortie des marchandises à l’international en 2018 (en milliards de dollars) ; Source : National Freight Strategic Plan
Dans le même temps, le commerce électronique a connu une croissance à deux chiffres, bouleversant les supply chain et induisant une hausse des livraisons dans des zones urbaines déjà congestionnées. Autre source de préoccupation : le développement du e-commerce accroît la pression sur le foncier au plus près des grandes agglomérations.
Les données au service de la prise de décision
Le plan stratégique national pour le fret (National Freight Strategic Plan, NFSP) visant à répondre aux défis futurs ou à remédier aux dysfonctionnements déjà identifiés repose sur trois piliers :
- Améliorer la sécurité, la sûreté et la résilience du système ;
- Moderniser les infrastructures et les opérations ;
- Favoriser l’innovation par le développement des données, des technologies et des compétences de la main d’œuvre.
Le sujet de l’innovation constitue une dimension essentielle du plan pour améliorer l’efficacité et la sécurité du système de transport de marchandises américain, car ses champs d’application sont nombreux et il irrigue ainsi toutes les problématiques. Le plan stratégique évoque les moyens de transport, du drone au véhicule autonome en passant par le platooning. Il insiste aussi sur la nécessité d’améliorer la collecte et l’utilisation des données, ainsi que d’investir dans la recherche. Enfin, il met en avant un point crucial : l’adaptation de la main d’œuvre aux évolutions prévisibles du secteur, en particulier aux nouvelles technologies.
L’amélioration du système global passe par ailleurs par un véritable plan de lutte contre la congestion, en particulier en milieu urbain. Les coûts de ce phénomène, liés notamment à la perte nette de productivité mais aussi à la consommation inutile de carburant, sont évalués à 74,5 milliards de dollars pour l’industrie du transport routier en 2018, "ce qui représente une année entière de productivité pour plus de 425 000 conducteurs routiers", souligne le rapport. Réduire les points de congestion figure donc au premier plan des priorités. Le ministère des Transports a été chargé d’identifier ces points, en collaboration avec les États, et de définir les moyens d’améliorer la situation. La congestion non récurrente, en raison de conditions climatiques extrêmes ou d’accidents par exemple, est également dans les radars.
Comme l’Europe, les États-Unis souffrent par ailleurs d’une période de sous-investissements dans les infrastructures. Or c’est un point essentiel en matière de congestion. "Ces 15 dernières années, les fonds publics accordés aux infrastructures n’ont pas été alignés avec la hausse des coûts de construction", note le rapport. Autre problématique : dans une période où la dépense publique est sous pression, les arbitrages ont du mal à se faire en faveur du transport de marchandises. Les décideurs privilégient des projets qui ont un impact direct sur leur juridiction, or les projets relatifs au fret présentent souvent des bénéfices inter-régionaux voire nationaux, et à l’inverse des impacts négatifs très localisés. Autant de paramètres qui ne plaident pas en leur faveur... Le gouvernement a donc entamé une réforme du financement des infrastructures. Un programme prévoit notamment une aide financière allouée aux États en contrepartie de l’élaboration de plans stratégiques pour le fret permettant d’améliorer l’efficacité du système. Par ailleurs, l’accent sera mis sur un meilleur accès aux données. "Les institutions publiques manquent souvent de données pertinentes, fiables et utilisables qui pourraient les aider à justifier le fait d’accorder davantage d’importance aux projets concernant le fret. (...) Parce que les données sur les coûts d’acheminement des marchandises ne sont pas bien maîtrisées, il est difficile pour les décideurs politiques d’intégrer les coûts de transport d’un produit pour l’entreprise ou le consommateur dans leurs décisions stratégiques", constate le Plan national.
Enfin, en matière de sécurité, le gouvernement américain veut s’attaquer à un problème majeur : l’augmentation du nombre de décès lors d’accidents liés à des opérations de transport de marchandises (+ 24% entre 2010 et 2017). Le nombre d’accidents mortels impliquant des poids lourds a augmenté de 42% entre 2009 et 2017 après une baisse de 34% entre 2005 et 2009. Le gouvernement américain veut notamment développer les places de parkings sécurisées, qui font principalement défaut le long des grands corridors de fret et dans les zones métropolitaines, afin de garantir la prise des temps de repos dans des conditions optimales.
On le voit, les constats et les enjeux évoqués dans ce Plan national stratégique américain sont très similaires à ceux que l’on peut rencontrer en Europe. L’efficacité des remèdes proposés ne pourra se mesurer que dans le temps, lorsque l’on pourra évaluer la mise en application effectives ou non des préconisations. Il n’en reste pas moins que l’approche globale consistant à faire du transport de marchandises une priorité nationale traduit une prise de conscience salutaire de l’importance du secteur pour l’économie. En Europe, le rôle stratégique du transport de marchandises est bien sûr admis, mais les plans d’actions reposent encore largement sur une approche par mode de transport qui nuit parfois à la cohérence et à la fluidité du système dans son ensemble.