La perturbation du transport de marchandises durant la pandémie de Covid-19 a généré une diversification des solutions sur la route Europe-Asie. Si le fret ferroviaire a retenu l'attention, le transport routier de marchandises entre la Chine et l'UE a lui aussi gagné des points.
Les services de transport routier de marchandises Chine-Europe en porte-à-porte ont vu le jour en 2018, deux ans après la ratification par la Chine de la Convention TIR. Le transporteur néerlandais Albas, associé à Ceva Logistics, a effectué un premier test en 2018, reliant la Pologne et la Chine en 12 jours. Il opère désormais toutes les semaines, utilisant jusqu'à 35 camions entre la Chine et l'UE.
Il est assez difficile de fournir des chiffres fiables sur le commerce UE-Chine par voie routière. En effet, les marchandises peuvent être considérées comme étant transportées par route dans la base de données d'Eurostat dès lors qu'elles quittent ou entrent dans l'UE par la route [1], et ce même si elles ont parcouru une grande partie du trajet par un autre mode de transport. Cependant, le lancement de services routiers par de grands logisticiens est un bon indicateur de l'émergence d'une vraie tendance sur le marché.
Pendant la pandémie, les perturbations du transport ont poussé davantage de prestataires à franchir le pas du transport routier UE-Chine. Le phénomène ne se limite pas aux opérateurs européens tels que DSV, Instafreight, ou Bolloré Logistics. Il concerne aussi des transporteurs chinois comme LXF-Express.
Les services de transport routier porte-à-porte entre la Chine et les pays de l'UE prennent environ 2 à 3 semaines, selon la destination. Ils empruntent un itinéraire similaire au fret ferroviaire sur cet axe. Un camion au départ de Chine pour l'UE passe ainsi la frontière entre Alashankou en Chine et Khorgas au Kazakhstan ou à Manzhouli à la frontière russe, puis entre dans l'UE via Malaszewicze en Pologne.
Pourquoi proposer ce type de service ?
Compte tenu de la distance à parcourir, l'émergence de services routiers peut paraître surprenante. De façon générale, deux raisons majeures ont engendré le recours à cette solution pendant la pandémie de Covid-19:
- Premièrement, la flambée de la demande pour certains produits en provenance de Chine ou de l'UE a généré une augmentation des volumes d'expédition pour tous les modes d'expédition. Par exemple, lors de la première vague de Covid-19 au printemps, la forte demande européenne en équipements de protection individuelle venus de Chine a sollicité les ressources de tous les modes de transport, même si la plus forte augmentation concernait le fret aérien.
- Deuxièmement, face aux perturbations du transport, en particulier dans le fret maritime et aérien, les chargeurs se sont tournés vers des modes plus épargnés. Dans certains cas, ils ont aussi opté pour le fret routier en raison de la saturation du fret ferroviaire. Le détournement de fret est observable dans le transport de produits de machines intermédiaires pour les secteurs avec une chaîne d'approvisionnement hautement mondialisée, en particulier pour le secteur automobile.
Une tendance durable ?
À terme, le fret routier sera confronté à la même question que le fret ferroviaire: ce mode restera-t-il attractif et compétitif dans la période post-pandémique? Pour l'instant, les transporteurs semblent envisager le développement du fret routier Chine-Europe comme un service régulier à long terme, indiquant leur confiance dans la demande du marché pour ce mode de transport.
> Concurrence avec le fret aérien et le fret ferroviaire
Les transporteurs mettent en avant les avantages du fret routier: moins cher que le fret aérien, surtout en cette période de prix anormalement élevés, et plus rapide et plus flexible que le transport maritime ou ferroviaire. La convention TIR autorise l'expédition sans inspection physique du fret le long de l'itinéraire. Pour le chemin de fer, la coopération douanière à cet égard est pour le moment uniquement entre la Chine et le Kazakhstan, ce qui signifie qu'une seule partie de l'itinéraire ferroviaire sur la ligne Asie-Europe échappe à l'inspection physique.
Le suivi des marchandises est un autre avantage souvent mis en avant. Le fret routier se révèle bien plus performant que le ferroviaire Europe-Chine, confronté dans ce domaine à un problème persistent, bien que des progrès aient été réalisés.
De façon générale, le fret routier porte-à-porte convient aux marchandises à forte valeur ajoutée et sensibles au facteur temps. Il peut donc concurrencer à la fois le fret aérien et le fret ferroviaire, selon les cas. Pendant la pandémie, on a vu une croissance des marchandises issues du commerce électronique transfrontalier, ainsi que des marchandises dangereuses telles que les batteries au lithium. Un secteur dans lequel le chemin de fer veut aussi avancer ses pions.
> Les freins au transport routier
Alternative séduisante, le fret routier UE-Chine est cependant confronté aussi à des défis importants.
Pour commencer, l'impact environnemental d'un tel transport longue distance reste un problème majeur. L'UE et la Chine mettent en œuvre des politiques visant à assurer la neutralité climatique de leurs activités économiques. Le plan logistique chinois publié en 2018 fixait un objectif de réduire considérablement le fret routier longue distance (> 500 km) et un transfert vers les voies ferrées et fluviales/maritimes d'ici 2025, bien que cette politique cible principalement la logistique intérieure. De même, le pacte vert pour l'Europe fixe également comme priorité le transfert de 75% du fret routier intérieur vers le chemin de fer et les voies navigables intérieures d'ici 2050. En termes d'émissions de carbone, le fret routier se situe entre le fret ferroviaire et le fret aérien. Selon un article du Loadstar, DSV, qui propose désormais un service de fret routier Chine-Europe, suggère que les émissions sur ce corridor sont 2,5 fois plus importantes que celles du rail, mais représentent un dixième des émissions du fret aérien.
D'autre part, bien que le fret routier Chine-Europe s'inscrive dans le cadre de l'initiative des "Nouvelles Routes de la Soie", il entre beaucoup moins dans une stratégie politique que le fret ferroviaire. Dans ces circonstances, le gouvernement chinois peut accorder un soutien prioritaire au fret ferroviaire en cas de conflit d'intérêts entre ces deux modes, comme le souligne un analyste de Transport Intelligence dans un article publié par le Loadstar. Lors de la forte congestion à Alashankou en juin dernier, la priorité des contrôles douaniers a ainsi été accordée au fret ferroviaire Chine-Europe.
Étude de cas : le transport routier Chine-Asie du Sud-Est
La compétitivité du fret routier sur la voie commerciale Europe-Asie réside dans le type de marchandises transportées et dans la compatibilité avec les schémas supply chain adoptés par les chargeurs. L'analyse du service de fret routier mis en place entre la Chine et l'Asie du Sud-Est permet un meilleurs aperçu des enjeux applicables aux liaisons Chine-Europe, étant entendu que la distance entre la Chine et l'Asie du Sud-Est est bien sûr beaucoup plus courte.
Le service de transport routier Chine-Asie du Sud-Est, lancé en 2016, représente un temps d'acheminement d'environ 40 heures pour rejoindre Chongqing, dans le sud-ouest de la Chine, à Hanoï, au Vietnam. Cette liaison de fret routier est devenue une solution compétitive dans la région. Au cours des huit derniers mois, les volumes d'expédition ont été multiplié par 1,5 par rapport à la même période en 2019.
La compétitivité du mode routier Chine-Asie du Sud-Est peut être attribuée à trois facteurs :
- Premièrement, les liens commerciaux étroits entre la Chine et le Vietnam soutiennent une demande constante du marché.
- Deuxièmement, la flexibilité du transport routier répond à la stratégie d'approvisionnement de nombreux fabricants vietnamiens: taux de rotation élevés et stocks faibles.
- Troisièmement, une infrastructure ferroviaire sous-développée au Vietnam rend difficile une recours au transport par rail à plus grande échelle.
S'il y a une donc une conclusion que nous pouvons tirer du cas du fret routier Chine-ASEAN, c'est qu'à l'avenir, la compétitivité du fret routier UE-Chine pourrait bien être optimisée dans les conditions suivantes :
- Une demande suffisante, signifiant un lien commercial profond entre la Chine et l'Europe pour certains produits à forte valeur ajoutée et sensibles au facteur temps.
- Un fort besoin de flexibilité dans la stratégie d'approvisionnement des chargeurs.
- Une infrastructure ferroviaire moins bien connectée dans certaines zones.
[1] Il s'agit ici de l'ensemble de données Eurostat: Commerce extra-UE depuis 1999/2000 par mode de transport.