Certaines marchandises à faible valeur ajoutée ont pu basculer ces dernières années vers le transport maritime conteneurisé, en raison des taux de fret peu élevés. La flambée des prix de transport intervenue en 2020 rebat les cartes.
Les marchandises dites "pauvres", c’est-à-dire avec de faibles valeurs au mètre cube ou à la tonne, sont venues tardivement et progressivement à la conteneurisation. Elles ont été attirées par des taux de fret conteneurisés durablement très faibles. Le basculement a également été rendu possible par la mise en place de chaînes logistiques dédiées, utilisant souvent le conteneur comme "stock mouvant" permettant d’optimiser les surfaces chez les chargeurs et les destinataires.
Cette évolution du marché, au cours des 20 dernières années, a conduit à des adaptations techniques, avec l’apparition de conteneurs dry de type "bulk" équipés de glissières sur les portes, ainsi que le développement des « saches » pour les conteneurs dry classiques. Ces saches, véritable habillage intérieur d’un conteneur, sont particulièrement adaptées pour les semences, les malts et les céréales. Pour les poudres de lait, marchandise stratégique en sortie d’Europe à destination de la Chine, le conditionnement en sacs dans les conteneurs, pas toujours palettisés, est un vrai casse-tête, car cette marchandise est très sensible à l’humidité. La moins mauvaise solution consiste à faire voyager les conteneurs par le train, pour sécuriser l’approvisionnement et pour limiter le temps de transport et le risque de détérioration associé.
Toutefois, l’acheminement des marchandises à faible valeur ajoutée par conteneur est aujourd’hui mis à mal par la flambée taux de fret. Examinons, par type de marchandises, celles qui sont le plus susceptible de faire machine arrière et de repasser ainsi du conteneur au conventionnel.
1 / Bois, pâte à papier, vieux papiers et cartons compressés à recycler
Ce segment de marché a été un des derniers à rejoindre la conteneurisation, et il risque fort d’être un des premiers à retrouver le marché conventionnel. C’est déjà le cas pour le bois, même si les navires spécialisés dans le transport de grumes sont devenus rares sur le marché de l’affrètement.
2 / Semences et céréales
Le secteur agro-alimentaire américain éprouve actuellement de grandes difficultés à exporter, en raison notamment d’un manque de conteneurs disponibles. Ces marchandises, soit en vrac conteneurisées soit ensachées, sont assez pulvérulentes. Cela signifie qu’il faut nettoyer à la soufflette les conteneurs ayant transporté ces produits avant de pouvoir les réutiliser pour charger des produits finis à forte valeur "made in China" sur palette filmée. Le contexte tarifaire actuel n’incite pas les compagnies maritimes à réaliser cet effort.
Cela étant, le basculement vers le vrac se révèle difficile pour les lots de moins de 500 tonnes. En effet, les petits navires céréaliers à partager se font rares (tout comme les grumiers), car une partie significative de ces volumes étaient partie vers la conteneurisation.
3/ Chimie de base et matières premières
Sur le segment de la chimie, un marché est particulièrement important : celui des granules PVC, conditionnées et vendues en Big Bag de 1 tonne. Ce produit, qui constitue la matière première de toute l’industrie de la plasturgie, voyage beaucoup dans le monde au gré des cours, avec de très faibles marges. Le conditionnement en Big Bag devrait aider à franchir le pas vers davantage de transport conventionnel, mais il va falloir réécrire toute la supply chain de ces produits avec de nouvelles contraintes de stockage et de pré et post acheminement.
Concernant les matières premières, une marchandise comme la craie, composant de base pour les industries de la peinture, présente aussi une valeur à la tonne trop faible pour supporter les coûts actuels du transport conteneurisé. Mais là aussi, le passage au conventionnel suppose de repenser les supply chain.
4 / Les déchets plastiques et les déchets métalliques
Ces marchandises risquent de ne plus être transportables... du tout ! Déjà, sur les déchets métalliques, les affaires de fausses déclarations liées au manque de dépollution se multiplient. D’autre part, ces déchets, empotés en vrac, posent un vrai problème aux propriétaires des conteneurs car ils engendrent éraflures, déformation des parois, fuites sur les plancher en bois. Dans la mesure où les compagnies maritimes peuvent désormais se permettre d’être plus sélectives sur le fret qu’elles chargent dans leurs conteneurs, elles risquent fort d’écarter ce type de produit.
L’affaire est complexe, car ces transports "sales" sont directement liés aux économies circulaires du recyclage, et alimentent des filières souvent parallèles très consommatrices de main d’œuvre précaire en Inde et en Afrique. Un arrêt brutal aurait des conséquences sociales sur les populations.
Les solutions techniques possibles
Les marchandises "pauvres" n’auront pas d’autre choix que de retourner au conventionnel si les tarifs actuels conteneurisés s’installent dans la durée sur des niveaux élevés, via l’affrètement partiel ou total de petits navires vraquiers.
Ce marché est resté actif en Intra-Méditerranée, mais il est à re-créer dans le transport maritime "deep sea". Le Big Bag de 1 tonne constitue une alternative au tout conteneur, même si la marchandise est moins bien protégée. L’hypothèse du recours aux sacs de 50 kgs sur palette serait en revanche un retour en arrière qui nous ramènerait dans les années 50/60, avec des navires gréés très rares aujourd’hui sur le marché. Cette option reste donc peu crédible.
La remorque routière et le Roro pour le deep sea sont également envisageables. Des opérateurs comme ACL/Grimaldi sont très bien positionnés sur ce marché et peuvent proposer des solutions pertinentes pour des volumes de 500 tonnes, ce qui correspond à des lots trop faibles pour considérer l’affrètement partiel de navires conventionnels. Les tarifs sont à étudier au cas par cas, en intégrant le gain sur la partie Détentions et Surestaries par rapport au conteneur. Un gros point noir toutefois, le retour des remorques, s’il est fait à vide, risque de mettre en péril la rentabilité de l’opération.