Le Paquet Mobilité réformant le secteur du transport routier de marchandises entame sa dernière ligne droite après de longues négociations. Nous vous proposons de revenir sur les principales dispositions, et surtout sur les impacts financiers que l’on peut anticiper.
Dans le cadre d’une stratégie globale intitulée "l’Europe en mouvement", la Commission européenne a présenté ces dernières années trois "paquets" de mesures sur la mobilité visant à transformer et moderniser le secteur du transport. Objectif : une Europe plus verte, et plus sociale.
Le premier paquet, présenté en mai 2017, se concentre sur le transport routier de marchandises. Il traite en particulier des points suivants :
- La lutte contre les pratiques illégales
- Le détachement des conducteurs
- Les temps de conduite et de repos des conducteurs et les nouvelles dispositions tachygraphes.
Le calendrier
En décembre dernier, les négociateurs du Parlement Européen et de la présidence finlandaise de l’époque ont enfin trouvé un accord, qui a été approuvé le 21 janvier 2020 par la commission des Transports du Parlement européen. Un pas est franchi, même si la Commission européenne a émis des réserves concernant ce texte.
Pour entrer en vigueur, l’accord provisoire doit désormais recevoir l’aval des ministres de l’Union européenne puis du Parlement dans son ensemble.
Les règles sur les temps de repos s’appliqueront 20 jours après la publication du texte législatif dédié à ce sujet. Toutes les autres dispositions s’appliqueront 18 mois après l’entrée en vigueur des actes législatifs concernés.
Rappel des principaux points
1. La lutte contre les pratiques illégales
L’accord maintient les limites actuelles en matière de cabotage : trois opérations en sept jours). Mais il introduit l’enregistrement des passages de frontières par tachygraphe. Il prévoit par ailleurs une période de carence de quatre jours avant que d’autres opérations de cabotage puissent être effectuées dans le même pays avec le même véhicule.
Ces deux mesures visent à éliminer le cabotage permanent, déjà illégal mais régulièrement pratiqué. Dans des cas particuliers tels que les pays frontaliers, cela risque de perturber les échanges entre la Belgique et la France ou les Pays-Bas et l’Allemagne par exemple.
Le texte s’attaque par ailleurs aux "entreprises boîtes aux lettres". Les entreprises de transport routier devront avoir des activités significatives dans l’État membre où elles sont enregistrées. Les nouvelles règles précisent également que les camions devront retourner au centre opérationnel de l’entreprise toutes les huit semaines. Une nouveauté qui ne manquera pas de susciter de nombreuses controverses dans la dénomination et la localisation du centre opérationnel…
Les opérateurs utilisant des véhicules utilitaires légers de plus de 2,5 tonnes seront également soumis aux normes européennes applicables aux transporteurs et devront équiper leurs camionnettes de tachygraphes. Avant cet accord, la législation transport concernait les véhicules de plus de 3,5 T. Les nouvelles dispositions impliquent de facto l’application de la réglementation à toutes les camionnettes. Le chauffeur livreur devra dorénavant respecter les mêmes temps de conduite et de repos que le chauffeur poids lourds. C’est un réel bouleversement du monde de l’express.
2. Le détachement des conducteurs et l’organisation des temps de repos
Les règles en matière de détachement s’appliqueront au cabotage et aux opérations de transport international, à l’exception du transit et des opérations bilatérales.
Cela signifie que les dispositions présentes dans la loi allemande MiLoG du 1er janvier 2015 ou bien la loi Macron du 1er juillet 2016 sur le salaire minimum sont étendues à la communauté européenne du transport. Cela donne une impulsion forte à la réduction du dumping social en Europe.
Tous les conducteurs dans le transport international doivent retourner chez eux toutes les trois ou quatre semaines. Le repos hebdomadaire régulier ne peut pas être pris dans la cabine du camion et les frais de logement du chauffeur sont à la charge de son employeur.
Le rapport de force avant l’accord
La préparation de cet accord a donné lieu à une opposition farouche entre les pays de l’Europe Centrale et Orientale et ceux de l’Europe Occidentale. Globalement, les premiers étaient partisans d’une continuité des règles spécifiques de libre-circulation des camions en Europe, les seconds pour un renforcement des contraintes.
Dans le "bloc de l’Est", on retrouve la flotte polonaise en pole position, mais aussi les flottes lituaniennes, hongroises, roumaines, slovaques, bulgares ou tchèques. Les règles qui prévalaient jusqu’alors ont permis un développement de leur transport routier sans commune mesure avec la taille de leurs économies respectives. À titre d'exemple, le chiffre d’affaires de la flotte polonaise représentait en 2018 7% du PIB de la Pologne (15% du PIB en Bulgarie et 13% en Lituanie) alors que celui des flottes allemandes et françaises représentait moins de 2% !
À l’inverse, les pays d'Europe Occidentale, qui se sont rassemblés dans l'Alliance du routier", ont vu monter une très forte contestation des transporteurs dans leurs pays, relayée par les médias montrant les conditions de travail indignes de chauffeurs routiers étrangers employés par des sociétés boîtes aux lettres.
L’étude CNR sur le classement européen des pavillons en 2017 donne la mesure de ce qui s’est joué.
* NEM : Nouveaux États Membres ; volumes exprimés en millions de tonnes-kilomètres - Source des données : Eurostat
- Le transport dit national (origine et destination dans le même pays) représente environ les deux tiers du transport total européen, mais le marché national de l’UE15 représente 85% à lui seul.
- Les flux dits internationaux (origine et destination dans des pays différents et le cabotage) représentent un tiers du total, acheminés aux deux tiers par les pavillons des Nouveaux États Membres (NEM*). Sur les 638 trillions de tonnes-kilomètres parcourues en 2017, plus de 70% sont réalisées à l’international. Le transport pour les NEM est donc une industrie fortement exportatrice.
- Enfin, le cabotage qui focalise beaucoup d’attention ne représente pourtant que 5% de l’activité des pays du NEM, en tout cas dans les chiffres officiels.
L’affrontement était donc inévitable, mais le rapport de force est encore, économiquement et démographiquement, à l’Ouest.
L’état des lieux après l’accord
L’accord provisoire conclu en décembre 2019 est globalement bien accueilli à l’Ouest de l’Europe. Il est une réponse au sentiment d’urgence lié au déclin des pavillons occidentaux confrontés à une concurrence des flottes étrangères jugée déloyale. Seuls les Pays-Bas sont restés en marge, poursuivant une certaine logique libérale interdisant toute velléité de contraindre la libre circulation.
À l’Est, le réveil est difficile. Le ministre de l'Infrastructure Andrzej Adamczyk, envisagerait même de porter plainte auprès de la Cour européenne de justice.
Les opposants à l’accord avancent plusieurs arguments :
- Les chauffeurs routiers vont voir leur rémunération baisser parce qu’ils rouleront moins, alors que c’est un élément de base de leur rémunération
- Cette baisse de rémunération rendra le métier moins attractif et compliquera donc encore un peu plus le renouvellement des générations
- Le CO2 généré par les retours au pays est un facteur de pollution supplémentaire
Une chose est sûre : à ce stade, l’analyse des mesures contenues dans le paquet mobilité ne laisse pas entrevoir de façon certaine une amélioration des conditions sociales du conducteur : l’augmentation salariale pourrait être contrebalancée par une diminution des indemnités kilométriques et la nuitée en dehors de la cabine les week-ends ne semble guère plébiscitée. Rien ne permet donc d’affirmer que le paquet sera par exemple un levier efficace pour recruter de nouveaux conducteurs.
En revanche, il pourrait être facteur d’accélération de la concentration du transport routier européen en marginalisant les petites structures, compte tenu de ses impacts financiers. Dans un contexte de contraction économique, ce que nous vivons depuis quelques mois déjà, son effet peut être très puissant.
Les impacts financiers à prévoir
Selon le site spécialisé Truck.pl, le surcoût du détachement, l’augmentation des déclarations administratives et les risques inhérents aux erreurs provoqueront chez les Nouveaux États Membres (NEM*) des hausses conséquentes du coût du travail. Elles oscilleraient de 15% pour les plus organisés à 30% voire 40% pour les autres, a priori les plus petits transporteurs. On peut d’ailleurs imaginer un mouvement de délocalisation des centres d’opérations vers des endroits plus proches géographiquement des points de consommation, afin de diminuer les frais de retour toutes les huit semaines.
Selon l’étude CNR sur le TRM polonais, le coût de la main d’œuvre était de 0,16 €/km en 2017. Si l’on prend l’hypothèse basse d’une augmentation de 15%, le coût augmenterait donc de 2,4 ct/km minimum. Et si l’on applique cette hausse à l’intégralité des flottes des NEM déployées à l’international, le surcoût de main d’œuvre frôle les 2 milliards d’euros, soit 3% du coût actuel (sur la base d’un coût de main d’œuvre du transport international européen évalué à 66 Md€, selon une étude de TLP Transport Logistyka Polska).
Les payeurs finaux de cette hausse seront très vraisemblablement les exportateurs et les importateurs de l’Ouest, car pour l’instant c’est encore largement là que se trouve le marché. On peut cependant imaginer qu’une partie de l’augmentation devra également être absorbée par les transporteurs. Les plus petits seront les plus vulnérables dans cette négociation, d’où un risque de détérioration des comptes de résultats propice à la concentration du secteur.
(NEM*) : République tchèque, Hongrie, Pologne, Slovénie, Slovaquie, Croatie, Roumanie, Bulgarie, Estonie, Lettonie, Lituanie, Chypre, Malte.