Aux États-Unis, la part des femmes dans la population des conducteurs routiers est passée de 3% à 11% entre 2009 et 2020. L’Europe est largement en-deçà, avec environ 2%, mais la féminisation est aussi considérée comme une piste à explorer pour remédier à la pénurie de conducteurs.
En 2018, le manque de conducteurs routiers aux États-Unis s’élevait à environ 60000 postes, soit une hausse de près de 20% par rapport aux besoins exprimés en 2017, soulignait en 2019 un rapport d’American Trucking Associations (ATA). Cette pénurie est l’un des plus grand défis auquel est confronté le secteur.
Pour y remédier, l’ATA prévient que les transporteurs routiers devront embaucher environ 1,1 million de nouveaux chauffeurs au cours de la prochaine décennie, soit une moyenne de près de 110000 par an. La nécessité de remplacer les départs en retraite représentera plus de la moitié des embauches de nouveaux chauffeurs (54%). Le deuxième facteur sera tout simplement la croissance de la demande de transport routier (25%). Et pour répondre au besoin, alors que la pénurie sévit déjà, le secteur se tourne de plus en plus vers le recrutement de femmes conductrices.
Une percée remarquable
Entre 2009 et 2020, la part des femmes dans la population des conducteurs routiers aux États-Unis est déjà passée de 3% à 11%, selon la Women In Trucking Association. Cette percée remarquable repose sur deux piliers :
- d’une part la promotion des femmes et de leurs réalisations dans le métier
- d’autre part la réduction des obstacles au développement de leur présence dans ce secteur.
En 2016, la Women In Trucking Association s'est associée au National Transportation Institute (NTI) pour créer l'indice WIT. Le but de cet indice est de mieux quantifier le nombre de femmes chauffeurs et membres de l'équipe de direction dans l’industrie du transport routier. Parmi les entreprises ayant communiqué des données, plus d'un quart des transporteurs ont confirmé une augmentation de 28,7% du nombre de conductrices.
"En plus de voir plus de femmes entrer sur le terrain, nous voyons également plus de couples. Beaucoup d'entre eux sont plus âgés, ont des enfants adultes et ont pris leur retraite d'une carrière en dehors de l'industrie. Travailler en équipe de chauffeurs leur permet non seulement de passer du temps ensemble, mais aussi de voyager dans des régions du pays qu'ils n'ont peut-être pas visitées auparavant. Avoir un partenaire pour le trajet peut également fournir aux femmes conductrices un sentiment de sécurité supplémentaire sur la route, en particulier lorsqu'elles s'arrêtent pour la nuit", estime Lindsey Grammel, vice-présidente du développement de la marque chez TrüNorth Global.
Minimiser les obstacles rencontrés par les femmes
La sécurité semble en effet constituer l’un des premiers critères à améliorer pour favoriser l’entrée des femmes sur des postes de chauffeurs routiers. Par exemple, l’association WIT a demandé aux fabricants d'installer un système d'alarme dans la couchette qui se déclenche si quelqu'un tente de s'introduire par effraction. L’entreprise Peterbilt propose pour sa part un système que le conducteur active en appuyant sur un bouton d'urgence.
La féminisation du métier soulève également des questions d’ergonomie. Les cabines de camion, par exemple, sont généralement construites pour s'adapter à la taille moyenne d'un homme. La taille moyenne d’une femme étant inférieure, il peut leur être difficile d'atteindre les commandes ou d'ajuster les sièges dans une position confortable tout en gardant les pieds sur les pédales. "Nous n'essayons pas de construire un camion pour les femmes, nous essayons simplement de le rendre plus adaptable, d'autant plus qu'il y a maintenant beaucoup de tandems mari et femme", souligne la présidente de WIT, Ellen Voie. "Désormais, les fabricants de cabines de camions sont vraiment attentifs et intègrent des changements qui rendent la conduite plus sûre et plus attrayante pour les femmes".
L’égalité des salaires entre hommes et femmes est également un point important qui favorise les vocations féminines. Selon Ellen Voie, "un transporteur fixe le salaire en fonction du kilométrage, des heures ou du pourcentage de la charge. Il n’est pas lié à l’âge, à l’origine ethnique ou au sexe."
Célébrer la réussite des femmes
Une partie des missions de la Women In Trucking Association est aussi de promouvoir les femmes qui ont choisi la profession de conducteur routier.
Kellylynn McLaughlin, ingénieur formatrice et conductrice depuis 4 ans, est devenue ambassadrice de la Women In Trucking Association. Sa mission est d’encourager les femmes à considérer le transport routier comme tous les autres métiers. "J'adore mon bureau, ma cabine de camion. Voir les saisons changer à travers le pays (parfois en une journée) est incroyable ; faire une visite des coulisses de mon pays change la vision de notre monde", raconte-t-elle.
En tant que conductrice ambassadrice, Kellylynn McLaughlin aide à mettre en valeur les progrès et innovations du transport routier en matière de sécurité qui permettent aux personnes de tous horizons et modes de vie de devenir des conducteurs professionnels. Chaque année, l’association WIT organise des événements dans les grands salons de la profession aux États-Unis et au Canada. Cette année, en raison de l’épidémie de la Covid-19, beaucoup ont été virtualisés ou repoussés à 2021. Cependant, le prix de la meilleure professionnelle du métier sera bien décerné en 2020. La cérémonie, la WIT Accelerate ! sera virtuelle et diffusée les 12 et 13 novembre prochains.
Des enjeux similaires en Europe
En Europe, la féminisation du transport routier est encore extrêmement marginale, puisque le secteur ne compte pas plus de 2% de femmes conducteurs, selon un rapport de l’IRU publié en 2019. Mais comme aux États-Unis, cette piste est fortement envisagée pour tenter de remédier au manque de chauffeurs. Un problème qui ne cesse de s’aggraver, selon les calculs de l’IRU, qui prévoyait en mars 2020 une pénurie passant de 23% en 2019 à 36% cette année. La paralysie de l’économie durant la crise sanitaire a pu ralentir le phénomène par rapport à ces prévisions, mais le problème n’en reste pas moins structurel.
Dans ce rapport de mars 2020, l’IRU mettait notamment en exergue la situation difficile de la Roumanie et de la Pologne et Jan Buczek, président de l’Association polonaise des transporteurs routiers internationaux (ZMPD), soulignait la nécessité d’améliorer les conditions de travail pour attirer plus de jeunes et plus de femmes.
La Pologne montre la voie
La communication est également un élément essentiel, et sur ce point, la Pologne a marqué des points. Là-bas, le chauffeur routier le plus connu est une femme. Iwona Blecharczyk, alias "Trucking Girl", est devenue une célèbre Youtubeuse, regardée par des millions de personnes. Elle est désormais une des femmes polonaises les plus connues au monde et Mattel, la célèbre marque de poupées, a fait une Barbie à son effigie et lui a décerné le titre de "Barbie Shero", un programme qui "rend hommage à des femmes qui soutiennent des causes importantes, excellent dans leur domaine ou sont précurseurs dans des milieux jadis réservés aux hommes". Un livre sur la vie de Iwona Blecharczyk sort dans les kiosques polonais en octobre 2020.
Elle est déjà sur beaucoup de fronts. On la trouve au centre de négociations sociales entre les organisations patronales (TLP) et les syndicats de chauffeurs NSZZ "Solidarność" pour présenter les problèmes vécus par les conducteurs routiers au quotidien, puis en égérie pour promouvoir la sobriété au volant ou encore à Bruxelles pour faire entendre la voie de tous les chauffeurs routiers, et également sur quelques promotions commerciales dans des salons spécialisés.
Elle fait des émules, c’est certain. Déjà Kate Truckdiverka, une autre conductrice polonaise, l’a rejoint dans la lumière. Elles soutiennent toutes les deux, avec deux collègues masculins, HERO TRUCKER 2020, une campagne de sensibilisation des chauffeurs routiers à la formation de secouristes.
La féminisation du transport routier avance à petits pas, mais on peut raisonnablement espérer que les améliorations des conditions de travail identifiées comme nécessaires à son succès bénéficieront à tous les conducteurs et renforceront l’attractivité générale du métier.