L’introduction de la réglementation Low Sulphur IMO 2020 a nourri des discussions animées entre chargeurs et compagnies maritimes. L’AUTF a fait le point sur l’impact de cette réglementation, notamment au niveau des prix de transport.
La réglementation de l’Organisation maritime internationale (OMI) imposant une réduction de la teneur en soufre des carburants utilisés par les navires est entrée en vigueur le 1er janvier 2020. À court terme, les compagnies maritimes avaient deux solutions pour répondre aux nouvelles exigences :
- Continuer à utiliser du fuel lourd en équipant leur flotte existante de "scrubbers" qui filtrent les fumées.
- Acheter du fuel à faible teneur en soufre, le VLSFO (very low sulphur fuel oil).
La troisième option, qui consiste à investir dans des navires au GNL, ne peut évidemment être qu’un choix de long terme.
Des surcoûts pour les compagnies maritimes
Dans tous les cas de figure, les compagnies ont indéniablement dû faire face à des coûts d’exploitation additionnels, qui ont eu un impact sur la volatilité des prix.
- L’installation de scrubbers nécessite des investissements lourds : entre 1 et 10 millions de dollars selon la puissance des moteurs, le type de navire et son temps d’immobilisation, selon les professionnels qui sont intervenus lors d’un séminaire organisé par l’AUTF en janvier pour faire le point sur la mise en œuvre de la réglementation IMO 2020. Au 1er janvier 2020, on comptabilisait environ 1 800 scrubbers installés. Un chiffre qui devrait dépasser les 2000 en fin d’année. Les compagnies maritimes se heurtent toutefois en ce début d’année à un problème imprévu : l’épidémie de coronavirus pourrait engendrer des délais supplémentaires dans l’équipement des navires en scrubbers. Les chantiers navals chinois, qui comptent parmi les principaux centres mondiaux pour la construction de navires, la maintenance et le refitting, tournent en effet au ralenti.
- Le recours au VLFSO représente aussi un surcoût. L’explosion de la demande à la fin de l’année a même engendré une période de surchauffe qui semble se calmer. Durant l’automne, les compagnies maritimes ont utilisé le plus tard possible du HSFO (High Sulphur Fuel Oil). Puis tout le monde a voulu du VLSFO en même temps, ce qui a engendré une très grosse tension sur le prix et la demande en fin d’année. Le prix de ce type de carburant s’est envolé, notamment à Singapour, pour culminer aux alentours de 700 dollars la tonne, soit le double du HSFO. Selon les experts du secteur, il faudra compter quelques mois pour le rééquilibrage. Un mouvement qui pourrait être favorisé par l’arrivée de la Chine sur le marché. Le pays doit en effet supprimer au premier semestre 2020 une taxe de 170$ la tonne aujourd’hui appliquée sur les exportations et les ventes internationales de fuel marine.
Sans attendre cette échéance, la pression a déjà diminué, si l’on en croit un communiqué publié le 21 janvier par l’OMI. "Des renseignements provenant de diverses sources indiquent que la transition vers la limite de 0,5% se fait de façon plutôt harmonieuse. Les prix des combustibles conformes, soit les fuel-oils à très faible teneur en soufre (VLSFO) et le gas-oil marin, ont initialement monté rapidement, mais ils semblent maintenant se stabiliser. En date du 20 janvier 2020, 10 cas de non-disponibilité de fuel-oil conforme ont été rapportés au Système mondial intégré de renseignements maritimes de l'OMI (GISIS)", fait savoir l’organisation internationale.
Des chargeurs attentifs à la pertinence des surcharges
Pour faire face à ces surcoûts, les compagnies maritimes ont annoncé en cascade l’instauration de surcharges Low Sulphur qui ont été accueillies avec une certaine méfiance par les chargeurs. Ceux-ci ne nient pas l’existence de surcoûts pour les compagnies maritimes, mais déplorent l’uniformité de la réponse alors même que l’impact sur les coûts n’est pas le même selon les solutions retenues. "Les coûts de carburant ne doivent pas être la variable d’adaptation au prix du marché comme la BAF a pu l’être (...). L’augmentation de ces coûts est une charge discrétionnaire et non une taxe obligatoire", a souligné Denis Choumert, le président de l’AUTF, invitant les chargeurs à ne pas "verrouiller trop tôt leurs taux all-in" et à ne pas "consolider les suppléments soufre dans des BAF permanents".
Le marché, au demeurant, a fait son travail. Des surcharges ont bel et bien été appliquées, mais pas forcément dans les proportions annoncées par les compagnies maritimes. Une nouvelle illustration d’une vieille réalité : la fluctuation de l’offre et de la demande pèse davantage que celle des coûts dans l’évolution des prix de transport…
Une pression environnementale qui va encore s’accentuer
Les fluctuations liées à la réglementation Low Sulphur appartiennent-elles désormais au passé ? Certainement pas. Tout d’abord, une prochaine étape importante approche à grands pas : l'interdiction du transport de fuel-oil non conforme à compter du 1er mars 2020. "J'exhorte tous les propriétaires, les exploitants et les capitaines de navires à se conformer à cette interdiction, là où elle s'applique, lorsque celle-ci entrera en vigueur. L'OMI demeurera vigilante et prête à répondre et à offrir un soutien", déclare Kitack Lim, secrétaire général de l'OMI, dans le communiqué diffusé le 21 janvier.
D’autre part, les solutions en vigueur sont loin d’être totalement satisfaisantes :
- À peine déployés, les scrubbers sont déjà dans le collimateur. Deux types d’équipements existent : les systèmes "open loop", qui induisent des rejets en mer, et les systèmes "closed loop", qui supposent le traitement des déchets dans des usines spécialisées. Certains États et certains ports ont d’ores et déjà fait savoir qu’ils interdisaient le rejet des eaux de lavage, indiquait dès novembre 2018 le Journal de la Marine Marchande.
- Quant au VLFSO, qui fait figure de solution la plus vertueuse dans l’immédiat, voilà que ses qualités sont d’ores et déjà contestées. Selon une étude allemande mentionnée dans un article de Splash247, ce carburant dégagerait du carbone noir dans des proportions supérieures de 10% à 85% au HSFO. Il s’agit d’une particule aérienne qui absorbe l'énergie solaire et contribue au réchauffement de l'atmosphère.
Pour couronner le tout, un scrubber consomme 3 à 5% de fuel en plus, avec son corollaire en CO2. Or cette question est également à l’agenda de l’OMI, dans le cadre de sa stratégie pour une réduction des émissions de gaz à effet de serre des transports maritimes. Ce programme prévoit de diminuer le volume total des émissions annuelles de GES d'au moins 50 % d'ici à 2050, par rapport à 2008. En ce qui concerne plus spécifiquement les émissions de CO2, l’objectif est d’atteindre -40% en 2030 et 70% 2050. Dans ce contexte, le GNL peut se révéler une option pertinente. Elle reste encore confidentielle, puisque le GNL ne représente aujourd’hui que 0,5% du marché. Mais selon les estimations de la société de classification norvégienne DNV GL, cette part pourrait grimper à 40% en 2050. Pour l’instant, la demande mondiale émane quasiment aux deux tiers de CMA CGM. La compagnie française a commandé neuf porte-conteneurs de 23 000 EVP propulsés au GNL, dont le premier a été mis à l’eau en septembre dernier.
L’investissement de départ est lourd, puisque le surcoût est d’environ 20% à l’achat par rapport à un navire classique, mais compte tenu de la durée de vie des navires, le choix peut se révéler stratégique en raison des contraintes accrues qui se profilent en matière de réglementation environnementale.