La nouvelle zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) est opérationnelle depuis le 1er janvier 2021. Cet article examine le potentiel de l'Afrique à s’intégrer davantage dans la supply chain mondiale dans le cadre de cette ZLECAf.
Depuis le 1er janvier 2021, des conditions préférentielles s’appliquent aux échanges au sein de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf ou ZLECA). Ce bloc commercial, qui est le plus grand du monde en nombre de participants avec 54 États membres, vise à réduire progressivement 90% des droits de douane sur 5 ans. Plus de 81% des biens sont actuellement échangés à des conditions préférentielles, les négociations sur les 19% restants devant être conclues d'ici juillet 2021. 35 des 54 signataires ont ratifié l'accord, dont les trois plus grandes économies africaines : le Nigéria, l’Afrique du Sud et l’Égypte.
L’instauration de la ZLECAf témoigne d’un effort majeur vers une économie régionale africaine plus intégrée, ainsi que de la volonté de mieux inclure l'Afrique dans la supply chain mondiale.
L'Afrique dans la chaîne de valeur mondiale
Actuellement, l'Afrique est engagée dans la chaîne de valeur mondiale principalement via la fourniture de biens primaires. Comparé à d'autres régions, comme le continent américain, l'Asie et l'Europe, le niveau du commerce intra-africain est nettement inférieur (graphique 1). La ZLECAf, en stimulant l'économie intrarégionale, peut apporter une nouvelle dynamique à l’intégration de l'Afrique dans la chaîne de valeur mondiale.
Graphique 1 - Source des données : CNUCED, Rapport sur le développement économique en Afrique 2019
Selon l'analyse de la Banque mondiale, la ZLECAf permettra d’augmenter les exportations intracontinentales de plus de 81% et les exportations avec les pays non africains de 19% d'ici 2035. En termes de secteurs, les exportations manufacturières devraient être les principales bénéficiaires, avec une augmentation de 110% pour le commerce intra-africain et de 46% pour le commerce non africain. En revanche, le commerce des services devrait connaître la hausse la plus modeste (14% du commerce intra-africain).
Dans le secteur manufacturier, on estime que ce sont l'Europe et la Chine qui connaîtront la plus forte croissance des échanges avec l'Afrique. L'Europe (1) devrait bénéficier d'une hausse des importations de produits textiles et de produits chimiques en provenance d'Afrique d'ici 2035. Dans le même temps, une croissance significative des importations africaines en provenance de Chine dans le secteur manufacturier est prévue (graphiques 2 et 3). L'augmentation estimée de l'industrie manufacturière dans le cadre de la ZLECAf fera de l'Afrique une option intéressante pour la diversification de la supply chain.
Graphiques 2 & 3 - Source de données : rapport de la Banque mondiale, Zone de libre-échange continentale africaine : effets économiques et redistributifs.
Une Afrique plus intégrée dans la fabrication mondiale
Premièrement, la suppression des barrières tarifaires et des barrières commerciales non tarifaires dans les États membres de la ZLECAf facilite un approvisionnement intra-africain et donc l’émergence d’un cluster de production régional qui, en retour, attirera plus d'investissements étrangers pour établir une activité manufacturière.
Il existe déjà une tendance émergente à l'investissement étranger dans les secteurs manufacturiers à forte intensité de main-d'œuvre en Afrique, par exemple l'industrie textile en Éthiopie. La Chine est un investisseur majeur dans l'industrie manufacturière légère en Afrique, en particulier dans le textile et la chaussure (graphique 4). Certaines des usines dans ce domaine s'approvisionnent déjà en grande partie auprès de fournisseurs locaux et la ZLECAf va encore renforcer cette tendance. La croissance de la population active dans cette région constitue une autre raison de voir ce mouvement s’amplifier. D'ici 2035, on estime que 70% de la population en Afrique sera en âge de travailler.
Graphique 4 - Source de données : Johns Hopkins University SAIS China-Africa Research Initiative (2)
Au-delà des secteurs à faible valeur ajoutée, certains pays d'Afrique du Nord dotés d'une capacité industrielle établie sont déjà considérés comme des options de nearshoring attractives pour la fabrication européenne ou à visée européenne. Le Maroc, qui est au stade final du processus de ratification de l’accord de libre-échange apparaît comme une option prometteuse pour l'industrie automobile. Sa stabilité politique, sa proximité géographique et sa connexion logistique bien établie avec l'Europe, ainsi que des coûts de main-d'œuvre peu élevés le rendent compétitif par rapport aux pays d'Europe centrale et orientale.
Ces dernières années, le Maroc s'est imposé comme un pôle régional de fabrication automobile, notamment grâce aux investissements français. Tanger Automotive City a attiré une cinquantaine d’entreprises de divers pays. En 2019, l’implantation d’usines du groupe PSA au Maroc a attiré les investissements des fabricants de pièces intermédiaires automobiles, en particulier des fournisseurs chinois, formant ainsi une supply chain locale. Deux fournisseurs japonais de pièces intermédiaires automobiles, Yazaki et Sumitomo, prévoient également la construction de nouvelles usines au Maroc, confirmant ce potentiel en tant qu'option de nearshoring.
La ratification de l’accord de libre-échange par d’autres pays d'Afrique du Nord (3) pourrait en particulier susciter un intérêt croissant de la part de l'Europe pour du nearshoring. Cela permet également à cette sous-région de se développer en tant que centre de fabrication pour répondre au marché africain en pleine croissance.
Expansion de la consommation et du commerce électronique
La croissance prévue des revenus dans le cadre de la ZLECAf signifie également un marché de consommation régional en expansion. On estime que la population de la classe moyenne en Afrique atteindra 1,7 milliard d'ici 2030, contre 1,2 milliard en 2018. Un rapport antérieur du Brookings Institute a mis en évidence la demande croissante de deux types de biens : les biens de consommation à distribution rapide et les produits de luxe, en parallèle d’une augmentation des revenus.
L'élargissement du marché de la consommation permet également au commerce électronique de se développer. La ZLECAf créera des outils essentiels pour le déploiement de la Stratégie de transformation numérique pour l'Afrique et la libéralisation des services liés au commerce électronique (Phase Trois des Négociations). Actuellement, le commerce électronique est à un stade de croissance rapide mais encore précoce en Afrique, avec en tête le Nigéria, l'Afrique du Sud et l'Égypte. Ces dernières années, des plates-formes digitales et des e-commerçants se sont développés. Par exemple Jumia, la place de marché du commerce électronique basé au Nigéria, est considérée comme l'Amazon africain. Il existe également des plates-formes de commerce électronique émergentes à capitaux étrangers dédiées au marché africain, par exemple KiliMall, une plate-forme de commerce électronique chinoise basée au Kenya. Le développement du e-commerce induit une économie intrarégionale plus connectée et offre une nouvelle voie, en particulier pour les PME locales, pour exporter vers le marché extérieur.
L'expansion du commerce électronique s'accompagne d'une demande croissante de services de distribution et d’entreposage. Les prestataires disposant d'un réseau local bien établi auront notamment besoin d’améliorer la livraison du dernier kilomètre, ce qui offre aux acteurs locaux certains avantages.
En outre, l'expansion du marché du commerce électronique, en particulier transfrontalier, peut transformer certaines zones en centres de distribution régionaux. C’est indéniablement le cas de l'île Maurice, classée au premier rang de tous les pays africains dans l'indice de connectivité mondiale DHL 2020. Plus précisément, en ce qui concerne le commerce électronique, l'île Maurice se classe non seulement au premier rang de l'indice B2C 2019 du commerce électronique en Afrique subsaharienne publié par la CNUCED, mais c'est aussi le tout premier pays africain à signer un accord de libre-échange avec la Chine, qui est entré en vigueur le 1er janvier 2021. En tant que pays ayant déjà ratifié la ZLECAf, l'île Maurice pourrait devenir une porte d'entrée pour connecter le commerce sino-africain.
Barrières commerciales non tarifaires
L'Afrique fait partie des régions où les coûts des échanges, hors tarifs douaniers, sont les plus élevés. La suppression des barrières non tarifaires, telles que les formalités administratives et les procédures de dédouanement, peut générer une augmentation des revenus plus importante que la simple suppression des droits de douane. Cependant, il faut noter qu'il existe également des accords sub-régionaux, avec des réglementations différentes sur les règlse d'origine ou la facilitation des échanges. Comme la question de l'harmonisation des mesures de facilitation des échanges entre ces accords régionaux et sub-régionaux n’est pour l’instant pas traitée, il pourrait y avoir des confusions dans la pratique réelle.
- Infrastructure de transport et de logistique
L'infrastructure de transport et de logistique est un autre facteur entravant les perspectives de la ZLECAf, qu'il s'agisse de la création de hubs régionaux de production manufacturière ou du développement du commerce électronique. Selon l'indice de performance logistique de la Banque mondiale, l'Afrique du Sud est le seul pays africain à faire partie du top 50 (33e).
La Chine est un acteur qui ne peut être ignoré lorsqu'il s'agit d'investissements dans les infrastructures en Afrique. Le BTP représente plus de 30% du total des IDE de la Chine sur ce continent (voir graphique 4). Dans le cadre de l'initiative Nouvelles Routes de la Soie, il existe également des collaborations conjointes entre la Chine et des pays européens, en particulier la France, dans divers projets dans le secteur des transports en Afrique (4), à la fois dans les transports intérieurs et dans le secteur maritime. Exemple : la collaboration entre CMA CGM, Bollore Logistics et China Harbour Engineering Company sur le projet du port de Kribi au Cameroun.
L'Europe devrait être la principale bénéficiaire de l’augmentation du commerce avec l'Afrique en matière de services de transport, mais avec une croissance beaucoup plus faible que dans l'industrie manufacturière (graphiques 5 et 6).
Graphiques 5 & 6 - Source de données : Rapport de la Banque mondiale, Zone de libre-échange continentale africaine : effets économiques et redistributifs.
Comme pour tout accord commercial international, la mise en œuvre effective sera la clé pour concrétiser le potentiel de la ZLECAf. En ce qui concerne les barrières commerciales non tarifaires, dans un souci d’améliorer la digitalisation, un outil de suivi et de reporting en ligne a été développé grâce à une collaboration entre l'Union africaine et la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement.
(1) "L'Europe" est basée sur la définition de la Banque mondiale et comprend l'UE et les pays de l'AELE (Islande, Liechtenstein, Norvège et Suisse).
(2) Les chiffres sont issus de l'Initiative de recherche Chine-Afrique SAIS de l'Université Johns Hopkins, à partir de données collectées dans l'Annuaire statistique chinois.
(3) Actuellement, parmi les 6 pays d'Afrique du Nord, trois ont ratifié l'accord : l'Égypte, la Tunisie et la Mauritanie.
(4) Ce type de collaboration est appelé "Coopération sur les marchés tiers" dans la presse chinoise et les documents politiques.