La flambée des prix du transport maritime conteneurisé pénalise particulièrement les marchandises de faible valeur. L’introduction de taux de fret variables selon la nature de la marchandise, sur le principe des anciens "Commodity Box Rates", pourrait se justifier au moins provisoirement.
Le niveau atteint par les prix du transport maritime sur certains axes, et en particulier l’Asie-Europe, met aujourd’hui en péril le bon fonctionnement des chaînes de productions mondialisées. Dans ce contexte, le retour des Commodity Box Rates (CBR), c’est-à-dire d’une tarification prenant en considération la valeur des marchandises transportées, pourrait constituer une façon éthique et inclusive de rétablir la paix sur les marchés du transport maritime conteneurisé.
Une différenciation selon les marchandises
En vigueur à l’époque des conférences maritimes qui ont pris fin en Europe en 2008, les "CBR" étaient des tarifs imposés par type de marchandise en fonction des codes douaniers, corrélés à la valeur des marchandises. Plus la valeur marchande était faible, plus le taux de fret était bas, et vice versa.
Après 2008, ces tarifs communs ont disparu au profit des négociations de gré à gré et des taux FAK ("Freight All Kind"). Il s’agit d’une tarification à l’unité publiée mensuellement par les compagnies maritimes, qui s’applique aux trafics spot. Elle ne fait pas de différenciation selon la nature des marchandises transportées (à condition qu’il s’agisse de marchandises sèches et non dangereuses) ou selon la valeur marchande.
Bien évidemment, plus la marchandise transportée a une forte valeur commerciale à la tonne ou au m3, moins elle est impactée par le prix de transport. L’augmentation brutale des taux de fret par un facteur 3 ou 4 pèse donc bien plus lourdement sur des marchandises de faible valeur comme la chimie ou l’agro-alimentaire de base que sur des composants high tech transportés par conteneurs pour le secteur automobile ou aéronautique, par exemple.
L’économie européenne pénalisée
Face à la flambée actuelle des taux de fret, les économies européennes se retrouvent mécaniquement plus affectées par ce phénomène que les économies asiatiques en général et chinoise en particulier. En effet, la valeur des marchandises conteneurisées transportées dans un conteneur 40’ entre l’Asie et l’Europe est environ 5 fois supérieure à son équivalent dans le sens Europe-Asie.
Proportionnellement, la situation actuelle des taux de fret touche donc négativement davantage les exportateurs européens que chinois, ce qui est contradictoire avec les objectifs européens de rééquilibrage encore réaffirmés dans le récent accord Chine-UE sur les investissements.
Les chargeurs et les commissionnaires de transport européens, par le biais du European Shippers’ Council et du Clecat, ont interpellé les autorités bruxelloises sur les risques que fait peser sur les entreprises européennes la désorganisation née de la politique actuelle des compagnies maritimes pour soutenir les taux de fret. Mais pour l’instant, la Commission européenne n’est pas disposée à donner suite aux demandes de régulation.
Un compromis dans l’intérêt général
Comment sortir de l’impasse actuelle, qui a également conduit à une forte dégradation de la confiance entre expéditeurs et compagnies maritimes ?
Il ne s’agit pas de prôner un retour aux conférences, même si l’organisation actuelle interpelle, avec 3 alliances maritimes qui pratiquent globalement les mêmes politiques et représentent plus de 80% de l’offre.
L’instauration de minima et de maxima tarifaires par grandes typologies de marchandises conteneurisées, pour une période de 6 mois, pourrait offrir au marché un peu de visibilité et de sérénité dans la construction des budgets et sécuriser la résilience de l’économie dont l’Europe a tant besoin dans cette tempête virale que nous traversons.
Les compagnies ne seraient pas perdantes, car sur le long terme, ces nouvelles règles du jeu pourraient constituer un amortisseur lorsqu’interviendra l’inéluctable retournement du marché.
Une question de souveraineté
Sur l’axe Asie-Europe, il paraît illusoire de croire que les chargeurs chinois, dont les exportations sont actuellement freinées par manque de "moyens d’évacuation" maritimes, ne seront pas entendus par le pouvoir central.
Osons un petit peu de politique fiction. Si Pékin ordonne à son appareil armatorial, Cosco en tête, de venir en aide aux exportateurs chinois en faisant passer le prix d’un conteneur 40’ de 8 000 à 4 000 USD de façon brutale et encadrée, on peut s’attendre à voir nombre de contrats commerciaux basculer de l’incoterm FOB à l’incoterm CIF port de destination européen, voire même en DAP jusqu’à des terminaux européens contrôlés par des intérêts chinois.
Le silence de Cosco, qui a jusqu’à maintenant accompagné la politique inflationniste de l’ensemble des compagnies maritimes, est annonciateur d’une reprise en main du marché par la Chine. Dans ce scénario, les grands perdants seraient les intérêts occidentaux, au niveau des compagnies maritimes comme des grands distributeurs. Les premières perdraient des parts de marché, faute de réaction suffisamment rapide, et les seconds perdraient la main sur leurs commandes.
Le nouvel an Chinois, le 12 février, sera à n’en pas douter une date pivot avant de nouvelles grandes manœuvres sur ce corridor Asie-Europe.