Les conditions générales de vente des compagnies maritimes conteneurisées évoluent vers une plus grande personnalisation, favorisée par la digitalisation.
En août 2020, Upply vous embarquait dans l’arrière-boutique du métier du transport maritime conteneurisé avec un décryptage des conditions générales de vente des compagnies. Depuis, le secteur a connu une période inédite de flambée des tarifs, de recomposition des chaînes logistiques et d’intégration verticale du côté des opérateurs.
Ces mouvements ont-ils engendré une nouvelle donne au niveau des conditions de vente appliquées par les compagnies maritimes conteneurisées sur les principaux trades mondiaux ? Upply a interrogé le marché pour pouvoir fournir aux praticiens quelques clés de lecture utiles dans l’analyse de leurs contrats de vente internationaux.
NB : Dans cet article, nous évoquons les "Liner Terms" pour des mouvements de conteneurs complets de type FCL/FCL. La problématique du groupage (LCL) sera abordée ultérieurement.
1/ Une meilleure prise en compte des intérêts du chargeur
On constate un effacement progressif des Liner terms imposés par les compagnies maritimes comme une obligation contractuelle du contrat de transport. C’est une tendance lourde et un acquis assez significatif pour les chargeurs. La digitalisation des offres maritimes progresse, et avec elle la possibilité de personnalisation des éléments tarifaires, hors fret maritime pur.
Dans toutes les grandes compagnies, il est désormais possible de paramétrer dans le système informatique une répartition de charges ad hoc entre les co-contractants, selon la requête du client, en fonction de son incoterm de vente et par type de trafic. Ces process sont synthétisés dans la rédaction du "SOP" (Sales and Operations planning), propre à chaque client.
En matière de construction tarifaire, la logique de base du FIFO (Free in / Free out, ou Bord / Bord), c’est-à-dire un montant de fret pur incluant les surcharges de base de type surcharge combustible (BAF), devient le socle commun des compagnies. Il convient ensuite d’y ajouter les THC (Terminal handling charges, au départ et/ou à destination) et autres frais (principalement pré et ou post-acheminement dans le cadre du Carrier haulage, etc.).
Pour mémoire, un fret "pur" sur une base Bord/ Bord ou FIFO, c’est le prix que paye un conteneur pour son transport maritime depuis qu’il est saisi et arrimé à bord du navire au port de départ jusqu’à bord du navire au port de destination, non désarrimé et non déchargé. Les éventuels transbordements intermédiaires sont intégrés dans la construction tarifaire Bord/Bord, s’il ne s’agit pas d’une relation port à port directe faite par un seul et même navire.
Avantage pour les compagnies- Une plus grande flexibilité commerciale pour élaborer des offres sur mesure à l’infini.
- Un meilleur contrôle de la facturation et moins de litiges puisque le SOP est en principe pré-validé par les co-contractants.
- Davantage de garanties sur l’absence de double facturation de certaines prestations annexes par les commissionnaires de transport au(x) client(s) final(aux).
- Difficile de forfaitiser à nouveau des offres, une fois que la décomposition des tarifs a été rendue visible. Une transparence qui peut être compliquer à gérer dans une stratégie de conquête de part de marché de la part des compagnies.
- Sur des marchés tarifaires très bas, il existe une possibilité mathématique de faire ressortir des frets négatifs (cela s’est déjà vu…), ce qui qui pose des problèmes de conformité juridique en plus des problèmes financiers directs.
- Un contrat de transport qui s’adapte au contrat commercial et non l’inverse, ce que l’on peut considérer comme une avancée légitime dans l’intérêt du client.
- Une transparence accrue dans le détail du "qui paye quoi", au titre du contrat commercial et du contrat de transport. Cet élément est très important, dans une période où les frais de détention et surestaries flambent dans les ports de charge comme dans les ports de décharge, et sont intrinsèquement conflictuels et source de litiges entre les parties.
Nous avons donc, sous la pression de la digitalisation et des chargeurs, un nouveau cadre général de construction tarifaire FIFO qui s’impose dans les logiques de présentation des cotations aux clients. Pouvoir disposer d’une vision décomposée des coûts est presque devenu de fait un "droit" pour les chargeurs. Les trafics en sortie d’Asie et d’une façon générale intra-Asie et zone Indo-Pacifique s’inscrivent dans leur immense majorité dans cette logique tarifaire adaptable au maximum.
2/ La persistance de certains usages
Attention cependant, certains anciens usages persistent du côté des compagnies maritimes. C’est en particulier le cas des conditions de vente Gate in / Free out (GIFO), qui forfaitisent la THC au port de chargement dans le fret, et Gate in / Gate out (GIGO), qui forfaitisent les THC au départ (THC L pour Loading) et les THC à l’arrivée (THC D pour Discharge).
En effet, après une étude croisée poussée, nous nous sommes rendu compte qu’une majorité de compagnies continuent de proposer sur certains trades, principalement en sortie d’Europe, des conditions GIFO, voire GIGO sur les États-Unis.
Les zones ou l’on retrouve majoritairement du GIFO dans la façon dont les compagnies délivrent leurs cotations à leurs clients européens (qui vendent en majorité avec des Incoterms de la famille C) sont :
- De l’Europe vers l’Asie, au départ du Nord Continent comme de Méditerranée.
Sur cet axe prévaut la logique de "better than empty" : le taux de fret maritime, une fois la THC déduite, est parfois bien maigre voire négatif, mais la priorité des compagnies reste de repositionner les boîtes vers le "leg" dit dominant, à savoir l’import Asie, même s’il souffre beaucoup actuellement.
- De l’Europe vers l’Afrique de l’Ouest, au départ du Nord continent et de la Méditerranée
- De l’Europe vers l’Afrique du Sud, au départ du Nord continent et de la Méditerranée.
- De l’Europe vers le Mexique et l’Amérique du Sud, au départ du Nord continent et de la Méditerranée.
- Des USA vers l’Europe
À noter que sur les trades sus-mentionnés, même si les offres en GIFO restent majoritaires lors de la première demande de cotation, il est de plus en plus possible pour le client de construire avec la compagnie de son choix un SOP ad hoc.
3/ L’exception américaine
Ce n’est un secret pour personne, les Américains sont hostiles aux incoterms de la Chambre de commerce internationale, quelle qu’en soit la version. Ils ont leur propre interprétation des incoterms dans leur droit fédéral et, par ce biais, font tout pour protéger leur marché de transport intérieur via des brokers nationaux. C’est un peu à contre-courant du reste de la planète et cela posera de plus en plus de problèmes à l’avenir, surtout si les États-Unis revendiquent à terme un nouveau leadership marchand mondial.
Dans la majorité des États américains, une vente FOB via un port de sortie américain implique que l’acheteur non américain paye le pré-acheminement aux États-Unis par un transporteur choisi par l’expéditeur. Autrement dit, l’acheteur n’a aucune visibilité sur le choix du prestataire et sur ce qu’il va payer en matière de pré-acheminement aux États-Unis.
Les différents Liner Terms pour les États-UnisL’accès au marché américain est réglementé. La décomposition des frais doit respecter un format imposé par la FMC (Federal Maritime Commission). Le contrat ad hoc doit être enregistré et accepté en amont du chargement des marchandises par la FMC.
- Gate in / Gate out
Pour ces raisons, on retrouve en sortie d’Europe, sur première demande de cotation à destination des États-Unis, des taux de fret de type GIGO, incluant donc les THC au départ et à l’arrivée, ou CY/CY pour container yard de départ à container yard d’arrivée. Attention, il convient de préciser dans les documents la localisation exacte du CY, qui n’est pas obligatoirement le terminal portuaire de départ ou d’arrivée, alors que le GIGO fait exclusivement référence au terminal maritime portuaire de départ et de destination du navire.
- Gate in / Free out
Sous la pression des clients européens, et pour couper court à une mise en cause des exportateurs européens dans les problèmes de stationnement des conteneurs dans les ports américains, une tendance lourde est clairement observée depuis le début de la pandémie : basculer les contrats de transport de GIGO en GIFO pour dégager toute responsabilité financière de l’expéditeur vis-à-vis de la compagnie sur ce qu’il peut advenir de la marchandise sur les terminaux américains dans le cadre des ventes avec des Incoterms de la famille C, qui restent majoritaires sur ce trade.
- Ramp
Les autres Liner terms qui continuent à être utilisés dans les contrats de transport négociés en Europe vers les États-Unis, en plus du Gate out et du Free out ports américains, sont le "ramp" dont Chicago reste le meilleur exemple. Dans ce cas, la compagnie livre au terminal ferroviaire de Chicago et non au port d’arrivée américain. Le prix du transport ferroviaire depuis le port de la Côte Est US jusqu’au moyen d’évacuation pour sortir du terminal ferroviaire de Chicago est forfaitisé dans le taux de fret maritime.
- "Final Destination"
Dernier Liner term que l’on peut retrouver sur les US, le "final destination" : le prix comprend alors tous les frais depuis la prise en charge de la marchandise par la compagnie maritime jusqu’à la destination convenue (exemple : "Le Havre / Denver within city limits")
Ce liner term est cohérent pour certaines ventes avec des incoterms de la famille D, souvent subies par les secteurs pharmaceutiques ou chimique européens. Il est dans la pratique de plus en plus difficile à offrir par les compagnies depuis l’Europe, les brokers locaux dans les ports US mettant "la main" sur ce type de fret à leurs conditions.
En résumé
- Globalement, les conditions générales de vente des compagnies maritimes ont du plomb dans l’aile mais ne sont pas morts ! Survivance du monde des conférences maritimes tel qu’il existait jusqu’en 2008 pour certains, freins au développement des échanges pour d’autres, ils s’effacent progressivement à l’échelle planétaire, sous l’élan de la customisation de la relation client favorisée par l’agilité digitale.
- Face à ce constat global, les États-Unis font de la résistance. On comprend mieux l’intérêt, pour certaines compagnies maritimes, de s’installer directement dans les terminaux américains pour tenter de se positionner sur les marchés locaux de transport intérieur.